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LA LITTÉRATURE FRANÇAISE AU XVIe SIÉCLE.

bien plus variés : toutes les opinions qui aujourd’hui nous divisent sur l’origine, le but, la constitution du pouvoir et de la société, toutes opinions, sans en excepter les plus hardies, ont été professées énergiquement au XVIe siècle. Parmi les théoriciens, les uns étaient monarchiques, comme Bodin, mais monarchiques modérés à la manière de Montesquieu ; Bodin disait que le prince comme le peuple doit obéir à la nature de la loi, souveraine de tous deux, lex utrinque domina[1] ; Lanoue demandait les états-généraux ; d’autres étaient républicains comme La Boëtie. La Boëtie, dont Montaigne a raconté la mort antique, écrivit à dix-huit ans un petit livre qui ne ressemble pas aux Sonnets publiés par Montaigne, et que Montaigne n’osa pas publier. Dans cet ouvrage qui porte le titre expressif de Contre un, le principe monarchique est attaqué sans aucun ménagement. En même temps, Languet publiait le Vindiciœ contrà tyrannos, et son livre était traduit en français sous ce titre : Du pouvoir du peuple sur le prince et du prince sur le peuple.

Après les théoriciens politiques viennent les diplomates, car le XVIe siècle est le point de départ de la diplomatie en Europe ; cette science naît avec la grande question de l’équilibre européen : alors paraissent Jeannin, Dossat, Granvelle, qui créent la littérature diplomatique. Les pamphlets politiques sont aussi anciens en France que l’imprimerie. On peut distinguer les pamphlets personnels, comme ceux qui furent écrits contre Catherine de Médicis, et les pamphlets dans lesquels, à l’occasion d’un évènement particulier, on traite une question générale, par exemple, celui qu’on trouve dans les Mémoires de Charles IX sous ce titre : l’Autorité d’élire les princes, à qui appartient. Puis viennent les sermons des ligueurs et le chef-d’œuvre des pamphlets politiques du XVIe siècle, celui qui le couronne et le termine, celui qui est en même temps une excellente satire, une excellente comédie, et un monument de bon sens et de bons sentimens, de bonne langue et de bonne éloquence, la Satire Ménippée.

La jurisprudence montre avec orgueil les noms de Cujas et de Dumoulin, et se glorifie de cette illustre magistrature française à la tête de laquelle il semble qu’on voit marcher L’Hôpital avec son apparence de Caton, comme parle un contemporain, sa longue barbe, son visage pâle et sa face grave.

L’art militaire éprouve aussi au XVIe siècle une révolution décisive, par l’établissement définitif des armées permanentes, des troupes

  1. Lerminier, Introduction générale à l’Histoire du droit, pag. 71