Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/242

Cette page a été validée par deux contributeurs.
238
REVUE DES DEUX MONDES.

gracieuse des scènes, qui se suivent avec tant d’aisance et de naturel ; rien de plus difficile à atteindre, et si j’ai cité les opinions des hommes célèbres de l’époque, c’est pour assembler tout ce qui atteste comment fut fondée et reconnue la puissance de ce genre de drame, puissance qui ira toujours en s’accroissant, à mesure qu’il traitera des questions plus graves et plus étendues. Le temps a consacré ce succès que Diderot avait prédit, et, depuis soixante-quinze ans, ce drame n’a cessé d’être, de saison en saison, un sujet d’attendrissement et d’étude. Trésors charmans de raison et de bonté, de quel cœur vous êtes sortis ! Créations heureuses que le temps ne peut flétrir, et que chaque printemps rajeunit ! Quel plus noble caractère que celui de Vanderk, et comme il était bien digne d’être complété par le beau trait que Grimm voulait ajouter à sa généreuse figure ! Il est gentilhomme, et le cache à son fils ; il a craint que l’orgueil d’un grand nom ne devînt le germe des vertus de son enfant ; il a voulu qu’il ne les tînt que de lui-même. La ruine de sa famille, une affaire d’honneur, l’ont exilé de la France. Il a changé de nom, il s’est livré au commerce, y a porté de grandes vues, et avec, j’ai presque dit malgré une austère probité, il a acquis une grande fortune et racheté tous les biens que ses ancêtres avaient vendus, l’un après l’autre, pour servir plus long-temps et plus généreusement la patrie, comme faisait cette vieille noblesse tant persécutée. Il avait suspendu son épée dans la salle des états de sa province, et l’est venue reprendre ; il pourrait aussi reprendre son nom et son rang, mais il ne le daigne pas. Il laisse à sa sœur les revenus et l’éclat des grandes terres qu’il a rachetées pour son fils ; il la laisse faire bien du bruit, bien des impertinences, et jouer de l’éventail dans des carrosses au milieu de ses livrées, courir de ses châteaux à Paris et tuer les postillons, préparer même un mariage avec son fils, où lui Vanderk, lui le grave et laborieux père de famille, laissera la tante et le neveu, et se soustraira, et ne paraîtra pas. Il sourit doucement avec un regard mélancolique et grave ; il sourit de pitié, mais il l’excuse. C’est de l’honneur, mal entendu, dit-il à son fils ; mais c’est toujours de l’honneur. Aujourd’hui, il est heureux, un peu heureux, car un esprit philosophique ne l’est jamais tout-à-fait et s’étourdit peu sur l’avenir ; mais enfin il a l’ame sereine : sa fille se marie, elle épouse un jeune et sage magistrat. La noce est prête, on s’occupe de costumes, de belles robes : sa fille n’est pas reconnaissable, tant elle est parée. Il joue avec tout cela ; mais tout est troublé. Son fils, son jeune fils, cet élégant officier, a un nuage sur le front : on a insulté devant lui les négocians.