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soins plus que fraternels[1]. Knox en triomphe et fait observer aux bourgeois des déportemens et des témérités importés de l’Italie et de la France. Toujours soumise à l’impulsion du moment, esclave de la passion, prête à tout sacrifier à ce qui la charme, elle immole à sa tendresse naissante dignité de reine, délicatesse de femme, et jusqu’à l’avenir de celui qu’elle a choisi. On s’irrite autour d’elle de ce peu de respect pour les convenances ; et, pendant que la sévérité calviniste flétrit la jeune reine, Darnley enivré s’oublie. À peine convalescent, il insulte les calvinistes, se moque des Écossais, maltraite les bourgeois, et se croit tout permis, puisqu’il est aimé.

Il y avait alors à la cour de Marie un homme d’esprit dont j’ai parlé, d’une malice très redoutable et d’un style excellent, Randolf, dont les lettres, déposées au Musée britannique, nous montrent sous des couleurs si vives la passion éphémère de Marie pour ce fat et ce léger Darnley, que le lecteur en suit sans peine les plus légers détails et touche du doigt les inconséquences dont la jeune femme se rendait coupable aux yeux de son peuple. « Ce qui se dit ici contre la reine (ainsi s’exprime-t-il dans sa lettre du 5 mars 1564) passe toute idée. On menace, on est mécontent, et l’obstination de Marie s’accroît avec le courroux de ses sujets. Si les bons conseils sont méprisés, on aura recours à d’autres moyens plus violens. Ce ne sont pas une ou deux personnes du vulgaire qui parlent, c’est tout le monde. Ce mariage est tellement odieux à la nation, qu’elle se regarde comme déshonorée, la reine comme flétrie et le pays comme ruiné. Elle est tombée dans le dernier mépris[2]. Elle se défie de tous ses nobles qui la détestent. Les prédicateurs s’attendent à des sentences de mort, et le peuple, agité par ces craintes, se livre au pillage, au vol et au meurtre sans que justice soit jamais rendue… Oncques ne se virent tant d’orgueil, de vanité, d’ambitions, d’intrigues, de haines, de bravades, en compagnie d’une bourse si pauvre. »

Pendant que cette désaffection croissait, Marie, qui se sentait plus isolée chaque jour, se rejetait sur les envoyés des Guises, sur ses créatures, sur les catholiques de petit état avec lesquels elle s’entendait pour opposer une digue à la violence de la réforme. Ces personnes, par leur intimité, augmentaient encore le discrédit de la reine, discrédit qui date de loin, puisque l’ambassadeur d’Élisabeth,

  1. Ms. Archives d’Angleterre.
  2. Utter contempt.