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l’Opéra-Comique, vint frapper à sa porte et lui offrir ses entrées à son théâtre, pour avoir le bonheur, dit-il, de voir un grand homme qui a fait la Tentation de Saint-Antoine, la Chanson de Blaize, l’Épître à mon Habit, etc., etc. On sait quelles étaient ces petites chansonnettes à la mode alors, et dont la première est assez dans le ton de celles de Vadé, de Collé et de Piron, et sent quelque peu les caveaux de Momus et de Comus. Il n’avait fait alors que cela et d’autres vers d’un ton plus élevé, des pièces fugitives qui étaient encore toute sa gloire et faisaient le bonheur du salon de Mme de Soucy, sous-gouvernante des enfans de France, où la baronne de Makau et Mme Diane de Polignac, bien jeune alors, se trouvaient. Il y cherchait, dans une douce habitude de tous les soirs, ce langage de bon goût qu’il avait en lui, ce bon ton qu’il a répandu dans ses œuvres, et elles rendaient plus exquise encore cette noblesse parfaite, cette délicatesse de sentimens que lui ont connues tous ses amis. Mme de Soucy le nommait son berger, tant il l’avait nommée Philis ! Enfin ces chansons avaient enchanté M. Monnet, aussi bien que les femmes de la cour ; mais Sédaine le refusa d’abord.

— Je me garderai bien d’accepter vos entrées, lui dit-il ; on n’offre rien pour rien, et vous espéreriez de moi quelque opéra-comique, ce que vous pouvez être sûr que je ne ferai pas. Je fais des maisons, et puis voilà tout : Je suis maçon pour vivre et poète pour rire.

Cependant peu de temps après le même visiteur revint. Il était triste, désolé. — Monsieur, je suis au désespoir, et si vous ne me tirez pas de la situation où je me trouve, je suis un homme perdu. Vadé me quitte, ne veut plus rien faire pour moi ; ainsi, je suis forcé de vendre mon fonds. (Or, c’était l’Opéra-Comique ; n’est-on pas tenté de dire à ce mot de fonds :

Comme avec irrévérence
Parle des dieux ce maraud !

mais alors c’était le terme.) Et, ajoute Monnet, comme je n’ai aucun ouvrage pour en soutenir le crédit, je le vendrai moitié moins. Si vous vouliez me faire un opéra-comique, je vendrais ma salle et mon privilége comme il faut. — Mais je n’ai pas le temps, dit Sédaine. — Mais, monsieur, ce soir en rentrant envoyez-moi vos brouillons, je les ferai copier.

Ainsi fut fait, et voilà comme on devient auteur malgré soi.

Pour sauver le directeur de l’Opéra-Comique, Sédaine fait tout à coup le Diable à quatre. Il réussit, ne se fit pas nommer, et ne pen-