Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/225

Cette page a été validée par deux contributeurs.
221
DE LA PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE.

sieurs, ce que j’aurais aimé peut-être à vous dire. Il sied mieux d’ailleurs que ces idées ne paraissent pas autrement qu’elles ne vont être présentées ici. Chacun de vous a le temps aujourd’hui de se recueillir un moment pour y penser. À présent les grandes questions qui nous passionnent ont été agitées, sinon résolues, et les parlemens se taisent sur elles. Est-ce le silence qui suit un orage ou celui qui en précède un autre ? Je ne sais, mais enfin on se tait. Vous avez cru le vaisseau politique emporté par les courans sur les écueils et vous avez viré de bord ; à présent, il faut relever le pavillon On s’en occupe, dit-on, et après tout la toge de la France n’a encore secoué ni la paix ni la guerre. On dit qu’enfin on pourra terminer aux chambres cette loi depuis assez long-temps projetée sur l’héritage de la propriété littéraire. Cette grave question, il faut l’avouer, n’a jamais été qu’ébauchée et traitée avec une sorte de légèreté, parce qu’elle est réputée facile, parce que ceux qui la connaissaient le mieux n’en ont pas dit assez jusqu’ici, et il est à craindre encore qu’au lieu de résoudre le problème de la propriété et de l’héritage, on ne se contente de prolonger de quelques années une mauvaise coutume.

Je me serais reproché d’envelopper dans les détours d’une invention cette histoire qui condamne si bien l’une des imperfections de nos lois. Aucun argument n’a la force d’un fait pareil à celui que j’ai à dire, et il faut dépouiller l’art quelquefois quand le vrai douloureux, le vrai tout éploré, se présente à nous comme un reproche vivant. C’est alors qu’il faut le montrer seul et nu aux indifférens pour les émouvoir. Montrons-le surtout dans ces momens décisifs où l’on va poser la pierre d’une loi incomplète, et quand il y a danger public, danger d’erreur.

Voici donc ce que j’avais à raconter :

— Un matin, il y a peu de temps, est entrée chez moi une personne âgée et inconnue qui voulait me parler et m’entendre, m’entrevoir, si elle le pouvait encore un peu tenter. J’allai vite au-devant d’elle, effrayé de lui voir chercher à tâtons le fauteuil que je lui offrais et dans lequel je l’aidai à s’asseoir. Je considérai long-temps avec attendrissement une femme d’un aspect distingué, de nobles manières, et dont la physionomie vive, spirituelle, et le langage poli, avaient la gaieté pénible des aveugles, ce sourire forcé que n’accompagne plus le regard. C’était Mlle Sédaine, la fille du poète, de celui dont on joue sans cesse et dont nous écoutons avec délices les drames toujours nouveaux. On venait de lui lire un livre où je parlais de son père, et elle avait pensé que celui qui était si touché de ce souvenir