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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

notant ses coupes, en insistant sur ses mots familiers et simples, sur les gaietés de Klefte lâchées à l’écho :

Du pistolet joyeux il fait siffler la balle,

nous disions, nous avions droit de dire : Il est des nôtres.

M. Lebrun allait être de l’Académie. Depuis son succès de 1820, sa place y semblait marquée avec certitude ; seulement son poème sur la Mort de Napoléon l’avait fort retardé. Sous le ministère Villèle, l’Académie française avait pris, comme toutes choses, une couleur politique ; de très légitimes choix y purent se faire sans doute sous la faveur royaliste, mais il y avait exclusion d’autres choix non moins légitimes, plus populaires, et c’était fâcheux pour l’Académie, ajoutons aussi pour la constitution sociale des lettres. M. Royer-Collard, le premier, força la porte, et les libéraux purent entrer. M. Lebrun fut reçu tout aussitôt après M. Royer-Collard. On jouait ce jour-là la Princesse Aurélie à la Comédie-Française. La princesse, en entrant, aperçoit quelque homme de lettres de sa cour et lui dit :

Ah ! votre Académie a fait un fort bon choix ;
Le public avec vous a nommé cette fois.

Et le parterre d’applaudir très vivement. C’était alors l’âge d’or des publiques sympathies. Nous aimons à en rappeler ce détail aujourd’hui que M. Lebrun, à son tour, vient de contribuer autant que personne, par son vote actif et persistant, à faire cesser au sein de l’Académie l’absence trop marquée d’un illustre novateur.

La révolution de 1830, en ouvrant à M. Lebrun la carrière de la haute administration et des affaires, a tenu, en quelque sorte, pour lui les promesses et payé l’arriéré de l’Empire. Depuis ce temps, le poète, l’homme de lettres en lui a dû se moins manifester, et on ne le retrouverait guère directement que dans les solennités de l’Académie, y portant la parole en toute convenance. Ce serait sortir de notre sujet, et presque de notre droit, que de toucher dans l’homme l’esprit disert, sociable, fidèle à ses amitiés, assorti aux choses, et faisant honneur à son passé en se montrant à l’aise en chaque emploi. Ce que nous avons voulu ici, ç’a été, à propos d’une reprise qui rappelait les titres acquis, de bien marquer la trace qu’a faite à son jour M. Lebrun dans l’art de son temps, et de rattacher à son nom l’idée qu’il y faut mettre : poète, presque formé déjà sous l’Empire, et qui sut être le semi-romantique le mieux autorisé sous la Restauration.


Sainte-Beuve.