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l’auteur était devenu très distinct, dit à une dame du palais, qui s’intéressait à M. Lebrun : « Que fait-il ? J’ai lu dans le temps son ode à l’armée, j’y ai trouvé plus de verve qu’on n’en trouve dans les ouvrages d’à-présent ; mais on dit qu’il s’endort. » Ce mot, cet aiguillon rapporté au poète, tira de lui, en réponse, des stances émues, pleines de grace. Napoléon régnant semble avoir tellement guindé et glacé ses chantres officiels, qu’une pièce quelque peu vive est une bonne fortune dans la poésie d’alors. Je veux citer celle-ci presque tout entière[1] :

« On dit qu’il s’endort. » — Caroline,
Est-il vrai qu’à Fontainebleau
Ce puissant maître de château,
Devant qui l’Europe s’incline,

Que lui-même, que l’Empereur,
Parmi tous les soins de l’empire,
Sache même que je respire,
Et me flattez-vous d’une erreur ?

Quoi ! de ma jeune destinée
Le cours n’en est point inconnu !
Quoi ! l’Empereur s’est souvenu
Des promesses du Prytanée !

J’occupe donc, si je vous crois,
Un coin de sa vaste pensée,
Où la terre entière est pressée,
Où se meut le destin des rois.

Qu’il se souvienne de nos gloires,
Des pays de tous ses combats,
Du nom de toutes ses victoires,
Et du sort de tous ses soldats ;

............

De tous les rois dont son pouvoir

  1. Il faut savoir, pour tout entendre, que la personne qui avait rapporté ce mot, Mme Caroline de B…, dame d’honneur de l’impératrice-mère, avait été la première passion de Bonaparte jeune, quand il était en garnison à Valence. Elle s’appelait alors Mlle Du Colombier ; il en parle dans le Mémorial de Sainte-Hélène : « On n’eût pas pu être plus innocens que nous, dit-il ; nous nous ménagions de petits rendez-vous. Je me souviens encore d’un, au milieu de l’été, au point du jour. On le croira avec peine, tout notre bonheur se réduisit à manger des cerises ensemble. »