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UN HIVER AU MIDI DE L’EUROPE.

si minces, que la chaux dont nos chambres étaient crépies se gonflait comme une éponge. Jamais, pour mon compte, je n’ai tant souffert du froid, quoiqu’il ne fît pas très froid en réalité ; mais pour nous, qui sommes habitués à nous chauffer en hiver, cette maison sans cheminée était sur nos épaules comme un manteau de glace, et je me sentais tout paralysé. Nous ne pouvions nous habituer à l’odeur asphyxiante des braseros, et notre malade commença à souffrir et à tousser.

De ce moment nous devînmes un objet d’horreur et d’épouvante pour la population. Nous fûmes atteints et convaincus de phthisie pulmonaire, ce qui équivaut à la peste dans les préjugés contagionistes de la médecine espagnole. Un riche médecin, qui, pour la modique rétribution de 45 francs, daigna venir nous faire une visite, déclara pourtant que ce n’était rien, et n’ordonna rien. Nous l’avions surnommé Malvavisco, à cause de sa prescription unique.

Un autre médecin vint obligeamment à notre secours ; mais la pharmacie de Palma était dans un tel dénuement, que nous ne pûmes nous procurer que des drogues détestables. D’ailleurs, la maladie devait être aggravée par des causes qu’aucune science et aucun dévouement ne pouvaient combattre efficacement.

Un matin que nous étions livrés à des craintes sérieuses sur la durée des pluies et de ces souffrances qui étaient liées les unes aux autres, nous reçûmes une lettre du farouche Gomez, qui nous déclarait, dans le style espagnol, que nous tenions une personne, laquelle tenait une maladie qui portait la contagion dans ses foyers et menaçait par anticipation les jours de sa famille ; en vertu de quoi il nous priait de déguerpir de son palais dans le plus bref délai possible. Ce n’était pas un grand regret pour nous, car nous ne pouvions plus rester là sans crainte d’être noyés dans nos chambres ; mais notre malade n’était pas en état d’être transporté sans danger, surtout avec les moyens de transport qu’on a à Majorque, et le temps qu’il faisait. Et puis la difficulté était de savoir où nous irions, car le bruit de notre phthisie s’était répandu instantanément, et nous ne devions plus espérer de trouver un gîte nulle part, fût-ce à prix d’or, fût-ce pour une nuit. Nous savions bien que les personnes obligeantes qui nous en feraient l’offre n’étaient pas elles-mêmes à l’abri du préjugé, et que d’ailleurs nous attirerions sur elles, en les approchant, la réprobation qui pesait sur nous. Sans l’hospitalité du consul de France, qui fit des miracles pour nous recueillir tous sous son toit, nous étions menacés de camper dans quelque caverne comme des bohémiens véritables.