Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/194

Cette page a été validée par deux contributeurs.
190
REVUE DES DEUX MONDES.

je ne saurais point définir. Alors le pagès, père de famille, s’éveilla à la voix de ses porcs chéris, comme la mère s’était éveillée aux pleurs de son nourrisson. Je l’entendis mettre la tête à la fenêtre et gourmander ses hôtes de l’étable voisine d’une voix magistrale. Les cochons l’entendirent fort bien, car ils se turent. Puis, le pagès, pour se rendormir apparemment, se mit à réciter son rosaire d’une voix lugubre qui, à mesure que le sommeil venait ou se dissipait, s’éteignait ou se ranimait comme le murmure lointain des vagues. De temps en temps encore les cochons laissaient échapper un cri sauvage ; le pagès élevait alors la voix sans interrompre sa prière, et les dociles animaux, calmés par un Ora pro nobis ou un Ave Maria prononcé d’une certaine façon, se taisaient aussitôt. Quant à l’enfant, il écoutait sans doute, les yeux ouverts, livré à l’espèce de stupeur où les bruits incompris plongent cette pensée naissante de l’homme au berceau, qui fait un mystérieux travail sur elle-même avant de se manifester.

Mais tout à coup, après des nuits si sereines, le déluge commença. Un matin, après que le vent nous eut bercés toute la nuit de ses longs gémissemens, tandis que la pluie battait nos vitres, nous entendîmes, à notre réveil, le bruit du torrent qui commençait à se frayer une route parmi les pierres de son lit. Le lendemain il parlait plus haut ; le surlendemain, il roulait les roches qui gênaient sa course. Toutes les fleurs des arbres étaient tombées, et la pluie ruisselait dans nos chambres mal closes.

On ne comprend pas le peu de précautions que prennent les Majorquins contre ces fléaux du vent et de la pluie. Leur illusion ou leur fanfaronnade est si grande à cet égard, qu’ils nient absolument ces inclémences accidentelles, mais sérieuses, de leur climat. Jusqu’à la fin des deux mois de déluge que nous eûmes à essuyer, ils nous soutinrent qu’il ne pleuvait jamais à Majorque. Si nous avions mieux observé la position des pics de montagnes et la direction habituelle des vents, nous nous serions convaincus d’avance des souffrances inévitables qui nous attendaient.

Mais une autre déception plus sérieuse nous était réservée : c’est celle que j’ai indiquée dans mon premier paragraphe, lorsque j’ai commencé à raconter mon voyage par la fin. Un d’entre nous tomba malade. D’une complexion fort délicate, étant sujet à une forte irritation du larynx, il ressentit bientôt les atteintes de l’humidité. La Maison du Vent (Son-Vent en patois), c’est le nom de la villa que le señor Gomez nous avait louée, devint inhabitable. Les murs en étaient