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DOCUMENS INÉDITS SUR MARIE STUART.

de la perfidie, par sa hauteur au-devant de l’outrage. Elle avait à peine résolu de quitter la France pour l’Écosse, que déjà elle avait blessé Élisabeth, et si mal choisi ses agens intimes, que son ennemie possédait tous ses secrets.

Le courtisan Brantôme, modèle et type dans son espèce de l’historien homme de cour, parle beaucoup des tristes pressentimens qui agitèrent Marie avant son départ. « Elle appréhendoit comme la mort, dit-il, ce voyage d’Escosse, et désiroit cent fois demeurer en France simple douairière et se contenter de son domaine en Poitou pour son douaire, que d’aller demeurer en son pays sauvage. Mais messieurs ses oncles (les Guises), aucuns et non pas tous, l’en pressèrent, qui depuis s’en repentirent bien… J’en ay veu lors le roy Charles (Charles IX), son beau-frère, tellement amoureux, que s’il eust été en asge, résolument il l’eust épousée. Il estoit résolu, encore que ce fust sa belle-sœur, et disoit que telle jouyssance valoit mieux que celle de son royaume. » — Cependant Marie prend son parti et met à la voile. — « Comme elle vouloit sortir du port et que les rames commençoient à se laisser mouiller, elle y vit entrer une nef en pleine mer et tout à sa vue s’enfoncer devant elle et se périr et la pluspart des mariniers se noyer. Elle s’écria incontinent : Ha ! mon Dieu ! quel augure de voyage est ceci ? S’estant élevé un petit vent frais, on commença à faire voile, et la chiourme (les rameurs) à se reposer. Elle, sans songer à autre action, s’appuye les deux bras sur la pouppe de la galère du costé du timon et se mist à fondre en grosses larmes, jettant toujours ses beaux yeux sur le port, et répétant sans cesse : Adieu, France ! adieu, France ! Et lui dura cet exercice debout près de cinq heures, jusques il commença de faire nuit et qu’on luy demanda si elle ne se vouloist point oster de là et souper un peu. »

Bien accueillie, mais avec un appareil sauvage qui l’épouvante, elle blesse le peuple qu’elle vient gouverner par la mollesse de sa vie et la magnificence de ses atours. Elle devrait capter la bienveillance et acquérir l’estime du tribun réformateur, Knox. Mais non ; elle le fait venir, et, sûre de ses ressources d’argumentation, elle engage une controverse avec lui. Maladresse présomptueuse ; curieuse scène qui laisse entrevoir une perspective funèbre.

— Votre ouvrage contre le gouvernement des femmes (Regiment of women) est dangereux et violent. Il arme nos sujets contre nous qui sommes reine ; vous avez commis une faute et péché contre l’Évangile qui ordonne l’obéissance et la bienveillance. Soyez donc