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UN HIVER AU MIDI DE L’EUROPE.

tous les enclos. Aussi les paysans, en nous voyant ramasser jusqu’aux branches mortes, nous prenaient, les uns pour des apothicaires, les autres nous regardaient comme de francs idiots.

L’île doit la grande variété de ses aspects au mouvement perpétuel que présente un sol labouré et tourmenté par des cataclysmes postérieurs à ceux du monde primitif. La partie que nous habitions alors, nommée Establiments, renfermait, dans un horizon de quelques lieues, des sites fort divers. Autour de nous, toute la culture, inclinée sur des tertres fertiles, était disposée en larges gradins irrégulièrement jetés autour de ces monticules. Cette culture en terrasse, adoptée dans toutes les parties de l’île que les pluies et les crues subites des ruisseaux menacent continuellement, est très favorable aux arbres et donne à la campagne l’aspect d’un verger admirablement soigné. À notre droite, les collines s’élevaient progressivement depuis le pâturage en pente douce jusqu’à la montagne couverte de sapins. Au pied de ces montagnes coule, en hiver et dans les orages de l’été, un torrent qui ne présentait encore à notre arrivée qu’un lit de cailloux en désordre. Mais les belles mousses qui couvraient ces pierres, les petits ponts verdis par l’humidité, fendus par la violence des courans, et à demi cachés dans les branches pendantes des saules et des peupliers, l’entrelacement de ces beaux arbres sveltes et touffus qui se penchaient pour faire un berceau de verdure d’une rive à l’autre, un mince filet d’eau qui courait sans bruit parmi les joncs et les myrtes, et toujours quelque groupe d’enfans, de femmes et de chèvres accroupis dans les encaissemens mystérieux, faisaient de ce site quelque chose d’admirable pour la peinture. Je regrette bien que M. Laurens ne l’ait pas vu ; il aurait ajouté plusieurs dessins à sa charmante collection. Nous allions tous les jours nous promener dans le lit du torrent, et nous appelions ce coin de paysage le Poussin, parce que cette nature libre, élégante et fière dans sa mélancolie, nous rappelait les sites que ce grand maître semble avoir chéris particulièrement.

À quelques centaines de pas de notre ermitage, le torrent se divisait en plusieurs ramifications, et son cours semblait se perdre dans la plaine. Les oliviers et les caroubiers pressaient leurs rameaux au-dessus de la terre labourée, et donnaient à cette région cultivée l’aspect d’une forêt. Sur les nombreux mamelons qui bordaient cette partie boisée s’élevaient des chaumières d’un grand style, quoique d’une dimension réellement lilliputienne. On ne se figure pas combien de granges, de hangars, d’étables, de cours et jardins, un pagès (paysan propriétaire) accumule dans un arpent de terrain, et