Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/178

Cette page a été validée par deux contributeurs.
174
REVUE DES DEUX MONDES.

par une négligence superbe. On peut en dire autant du produit immense des oliviers, qui sont certainement les plus beaux qu’il y ait au monde, et que les Majorquins, grâce aux traditions arabes, savent cultiver parfaitement. Malheureusement ils ne savent en tirer qu’une huile rance et nauséeuse qui nous ferait horreur, et qu’ils ne pourront jamais exporter en abondance qu’en Espagne, où le goût de cette huile infecte règne également. Mais l’Espagne elle-même est très riche en oliviers, et, si Majorque lui fournit de l’huile, ce doit être à fort bas prix. Nous faisons une immense consommation d’huile d’olive en France, et nous l’avons fort mauvaise à un prix exorbitant. Si notre fabrication était connue à Majorque, et si Majorque avait des chemins, enfin si la navigation commerciale était réellement organisée dans cette direction, nous aurions l’huile d’olive beaucoup au dessous de ce que nous la payons, et nous l’aurions pure et abondante, quelle que fût la rigueur de l’hiver. Je sais bien que les industriels qui cultivent l’olivier de paix en France préfèrent de beaucoup vendre au poids de l’or quelques tonnes de ce précieux liquide que nos épiciers noient dans des foudres d’huile d’œillette et de colza, pour nous l’offrir au prix coûtant ; mais il serait étrange qu’on s’obstinât à disputer cette denrée à la rigueur du climat, si à vingt-quatre heures de chemin nous pouvions nous la procurer meilleure et à bon marché. Que nos assentistes français ne s’effrayent pourtant pas trop : nous promettrions au Majorquin, et je crois à l’Espagnol en général, de nous approvisionner chez eux et de décupler leur richesse, qu’ils ne changeraient rien à leur coutume. Ils méprisent si profondément l’amélioration qui vient de l’étranger, et surtout de la France, que je ne sais si pour de l’argent (cet argent que cependant ils ne méprisent pas en général) ils se résoudraient à changer quelque chose au procédé qu’ils tiennent de leurs pères[1].

Ne sachant ni engraisser les bœufs, ni utiliser la laine, ni traire les vaches (le Majorquin déteste le lait et le beurre autant qu’il méprise

  1. Cette huile est si infecte, qu’on peut dire que dans l’île de Majorque, maisons, habitans, voitures et jusqu’à l’air des champs, tout est imprégné de sa puanteur. Comme elle entre dans la composition de tous les mets, chaque maison la voit fumer deux ou trois fois par jour, et les murailles en sont imbibées. En pleine campagne, si vous êtes égaré, vous n’avez qu’à ouvrir les narines ; et si une odeur d’huile rance arrive sur les ailes de la brise, vous pouvez être sûr que derrière le rocher, ou sous le massif de cactus, vous allez trouver une habitation. Si dans le lieu le plus sauvage et le plus désert cette odeur vous poursuit, levez la tête ; vous verrez à cent pas de vous un petit Majorquin sur son âne descendre de la colline et se diriger vers vous. Ceci n’est ni une plaisanterie ni une hyperbole ; c’est l’exacte vérité.