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REVUE. — CHRONIQUE.

réparer la faute qu’on a faite en apposant sa signature au traité du 15 juillet. Mais encore une fois, pour atteindre ce but, il faut du calme, de la suite, de la patience, et avant tout une armée de cinq cent mille hommes et les fortifications de Paris. C’est là notre delenda Carthago. Ces mesures sont excellentes. En veut-on la preuve, la meilleure des preuves ? Elles déplaisent souverainement à l’étranger ; ses conseils charitables sur l’état de nos finances, ses plaisanteries, son indifférence affectée, ne sont que des formes diverses du même sentiment, qui est un sentiment de déplaisir, de chagrin. Pourquoi ? parce qu’on ne pourra plus surprendre et tromper la France, parce qu’il faudra avoir pour une des premières puissances de l’Europe tous les égards auxquels elle a droit, lors même que cette puissance s’appelle et qu’elle veut s’appeler, la France de 1789, la France de juillet la France révolutionnée, la France qui veut à sa tête la dynastie de son choix.

Ayons de la force sans arrogance, du calme sans faiblesse, une persévérance froide et inébranlable dans les mesures qu’on a projetées, et tout ce qu’il peut y avoir eu de pénible pour le sentiment patriotique dans les évènemens qui viennent de s’accomplir, peut encore être réparé, réparé sans violentes secousses. L’Europe a plus besoin de la paix que nous-mêmes, infiniment plus, et l’Europe sait que la paix est compromise, si la France, armée et forte, est mécontente.

Les succès de l’Angleterre en Orient ont blessé la Russie, ses intérêts, son orgueil national ; il est impossible qu’il en soit autrement. Et il n’y a pas d’hommes de quelque valeur, en Angleterre, qui ne sache qu’en cas d’une lutte avec la Russie, l’Angleterre ne pourrait se passer du secours de la France.

La Russie à son tour, la Russie, qui ne peut pas ne pas prévoir une lutte avec l’Angleterre, peut-elle s’engager seule dans le combat avec quelque chance de succès, si la France était de nouveau l’alliée intime de la Grande-Bretagne ? Certes, non. La Russie le sait : de là, ses efforts pour briser l’alliance anglo-française. Ces efforts, grace à l’étrange politique de lord Palmerston et à la politique plus étrange encore de Vienne et de Berlin, ont été couronnés de succès au-delà de toutes espérances. L’alliance est brisée, et, ce qui plus est, on est parvenu de l’autre côté de la Manche à réveiller les vieilles antipathies des peuples par de pitoyables gaucheries et par un langage déplorable. La Russie doit être satisfaite ; mais ce n’est là cependant que la moitié de sa besogne.

Les esprits prompts et aventureux sont convaincus que la Russie vient de commencer l’autre moitié de son œuvre par la dépêche, conçue en termes très flatteurs pour la France, que M. de Nesselrode a fait communiquer à notre gouvernement. C’est la première fois, dit-on, que la cour de Russie tient au gouvernement de juillet ce langage ouvert, amical, et qui paraît faire pressentir le désir de plus d’intimité dans les relations des deux pays. Nous ne voulons rien hasarder ; nous voudrions encore moins rien précipiter. Il est très possible que cette dépêche ne soit au fond qu’une de ces politesses