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en dépenser aussi, et nous n’en avons guère. À quoi M. le ministre des affaires étrangères aurait fait une réponse qu’on pourrait abréger et traduire ainsi : Si nous armons, c’est votre faute, et nous ne devons pas, la position restant la même, désarmer ; si vous armez à votre tour, je ne vous demanderai pas d’explications, mais je serai charmé de voir que vos fautes vous coûtent cher. Du reste, quoi qu’il en soit des termes mêmes du dialogue qui a dû avoir lieu à cette occasion, le ministère persiste formellement dans les deux mesures projetées ; on a le droit et l’obligation d’en conclure que sa réponse a été telle que la dictaient l’honneur, la sûreté, la dignité de la France.

Maintenant, que les gouvernemens de l’Allemagne arment aussi, en vérité cela peu nous importe. Nous savons à quoi nous en tenir sur les efforts et les menaces (si menaces il y avait) de la confédération germanique. Elle ne pourrait tenter quelque chose de grand et de sérieux qu’en réveillant chez les Allemands des sentimens qu’on a trahis et une ardeur d’unité nationale qui est avant tout à redouter pour les princes de ce pays, et plus encore pour l’Autriche, pour le roi des Pays-Bas, pour le Danemark. Avant de songer à réaliser sur l’Alsace des rêves par trop absurdes, l’Allemagne, si jamais elle s’apercevait de son excessive bonhomie en fait de politique, aurait autre chose à faire : elle ne voudrait pas se brouiller sans rime ni raison avec nous et recommencer une lutte qui lui serait funeste en cas de revers, et qui ne ferait, dans le cas contraire, que river en Allemagne les chaînes du pouvoir absolu. Sans doute, les feuilles allemandes, toutes censurées, et les niais d’estaminets, race plus nombreuse dans les pays allemands que partout ailleurs, ont dit et se sont laissé dire que les Français voulaient repasser le Rhin, subjuguer l’Allemagne, porter les limites de l’empire sur l’Oder, sur l’Elbe, que sais-je ? De tous ces ridicules mensonges préparés à dessein, il en est résulté une petite fermentation dont les gouvernemens allemands se servent avec une habileté quelque peu grossière pour nous dire qu’eux aussi seront malheureusement obligés d’armer, afin de calmer chez eux cette opinion qu’ils ont faite et, pour ainsi dire, fabriquée à la main. Ils ont fait le mal pour avoir le prétexte d’administrer le remède. Qu’on leur réponde froidement ce que nous aimons à croire qu’on leur a dit, qu’on leur dise « Messieurs, armez tout à votre aise ; cela nous est fort égal ; nous voulons faire chez nous tout ce que bon nous semble ; imitez-nous si cela vous convient, et tout cet échaffaudage s’écroulera, et les gouvernemens allemands seront les premiers à dire à leurs dociles sujets : « Calmez-vous, les journaux se sont trompés, la France n’a aucune envie de nous dévorer ; le peuple français est un excellent voisin, plus patient, plus endurant qu’on ne le dit, et le gouvernement français un gouvernement loyal, honnête, pacifique. Ainsi, nul besoin d’armer, nul besoin de dépenser notre argent. » Alors, au lieu de nous parler de nos armemens, on nous parlera, avec plus de raison, du besoin qu’on a de la France pour assurer le repos du monde, et on fera des efforts sérieux pour