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REVUE. — CHRONIQUE.

moins repoussante pour tout honnête homme qui veut un instant réfléchir. Il en est de ceux qui violent les lois du timbre comme des contrebandiers ; qu’ils s’en doutent ou non, l’argent qu’ils gagnent ne sort pas du trésor public mais de la poche du voisin. Le trésor public demande aux uns ce que les autres lui refusent ; il lui faut sa somme bien ronde et bien comptée, et il la trouve, et il a raison de la trouver, car il sait fort bien qu’un pays comme la France, lorsque la moyenne de l’impôt n’y dépasse pas trente et quelques francs par tête, n’est pas un pays écrasé de contributions. Ainsi tout dépend de l’assiette de l’impôt, de la répartition, de la rentrée : il peut y avoir dans nos lois de finances quelques lacunes à combler, quelques défauts à corriger, nous le voulons bien ; mais ce qu’on doit vouloir avant tout, c’est que nul ne puisse, de son autorité privée, se décharger d’un impôt légalement établi et en rejeter la charge sur son voisin.

Au surplus, nous avons grande confiance dans les talens et dans la fermeté financière de M. Humann. Cette confiance, il l’inspire généralement, et c’est là, nous le reconnaissons, un point capital, surtout lorsque l’état peut être dans la nécessité de s’adresser au crédit public. Nous concevons sans peine, et nous sommes loin de lui en faire un reproche, que M. Humann désire vivement le maintien de la paix et l’économie dans les dépenses. Cela est très naturel dans l’homme dont les idées ont été principalement dirigées vers les affaires financières et industrielles ; cela est d’ailleurs fort séant pour l’homme qui est chargé de la garde du trésor public. Nous voudrions être également certains que ces vues et ces habitudes, fort louables en soi, de M. le ministre des finances, ne l’empêcheront pas d’envisager à leur point de vue le plus élevé les questions politiques qui doivent se décider dans les conseils de la couronne. M. Humann le sait sans doute ; il est des économies qui seraient une honte, et la honte est presque toujours l’avant-coureur d’un désastre.

Méhémet-Ali a dû passer par de nouvelles humiliations. Il a entendu l’amiral Stopford traiter avec un superbe dédain la convention conclue avec le commodore Napier. Il a pu croire un instant que l’Angleterre voulait lui enlever même l’Égypte. Il a dû, pour la conserver, souscrire à de nouvelles conditions, se prosterner de nouveau aux pieds du sultan la face contre terre. Dans nos idées et dans nos mœurs, il a passé et repassé sous les fourches caudines jusqu’à l’opprobre. C’est une chute profonde dont ne se relèveront ni lui ni les siens.

Ainsi le sultan est sans force ; Méhémet a perdu la sienne. Que peuvent devenir l’Égypte, la Syrie, si les Anglais ne se chargent pas de les garder, d’y comprimer le brigandage, l’insurrection, la révolte ? Ne désespérons pas de la générosité de lord Ponsonby et de lord Palmerston. Grace à leur intervention, l’ordre régnera en Égypte et en Syrie !

On dit que des ames pieuses demandent aux puissances de profiter de l’état actuel de la Syrie pour enlever Jérusalem à la domination turque et en faire une ville européenne, une ville libre sous le protectorat de l’Europe, une ville