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de proclamer, pour l’éventualité d’une crise européenne, de nouveaux et plus généreux principes de droit public ; nous pouvons à l’avance subordonner solennellement l’esprit de conquête au droit imprescriptible des nationalités ; mais la France se doit à elle-même de ne pas se désintéresser de l’avenir, et de ne point jeter l’ancre à l’instant même où la face du monde change autour d’elle.

Que l’on ne se méprenne pas sur le sens de cette observation et sur le sentiment qui nous l’inspire. Bien loin de condamner les résolutions pacifiques du cabinet actuel, nous nous y sommes pleinement associé, parce que, dans la situation où le plaçaient et des fautes antérieures et des déceptions inouies, le parlement n’avait évidemment à consacrer que le principe de la paix armée et de l’isolement de la France. Mais cette résolution, base d’une politique nouvelle, n’est pas à nos yeux une vaine et dispendieuse satisfaction donnée à l’opinion publique. La France, tout entière désormais au soin d’augmenter ses ressources militaires et surtout ses ressources maritimes, se retire, parce que le soin de ses intérêts comme de son honneur le lui commande, des transactions entamées en Orient, en protestant par son absence. Libre de l’alliance qui pesait sur elle à ses portes comme à l’extrémité du monde, elle va attendre, sans la hâter par des avances peu politiques, la seule chance que la Providence puisse ménager à sa fortune, celle d’un désaccord entre l’Angleterre et la Russie, pour prendre dans cet instant décisif conseil de ses seuls intérêts.

Elle se gardera donc de protéger de son nom aucune ruine, et d’accoler sa garantie à aucun acte de nature à compromettre l’avenir. Elle ne rentrera pour aucun prix dans les transactions relatives à l’Égypte, parce que de quelque manière qu’elles se terminent, et à quelque concession que la Porte puisse être amenée, le pacha ne sera plus qu’un agent soumis de l’Angleterre, qu’un nabab placé à l’avant-garde de l’empire des Indes, rôle qui a pu coûter d’abord à sa fierté, mais qu’il accepte avec une résignation toute musulmane. Elle ne nouera pas, en ce moment du moins, de négociation directe relative à la condition politique de la Syrie, parce qu’une telle négociation échouerait infailliblement contre l’influence anglaise, ou se terminerait à son profit exclusif ; elle saura attendre, pour reprendre en ce pays la prépondérance qui lui appartient, les embarras qu’engendrera bientôt pour le gouvernement britannique une intervention de jour en jour plus délicate au sein de ces populations divisées de croyance, d’origine et d’intérêts ; elle ne poursuivra pas comme une victoire