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assurances à cet égard sont donc parfaitement inutiles, et ne manqueraient pas même d’une certaine naïveté. Mais ce qui reste démontré pour tout esprit sérieux, connaissant et la politique de l’Angleterre et le sens droit et pratique de ce pays, c’est qu’un point de vue tout différent de celui où l’on s’était placé depuis un siècle s’est ouvert pour le cabinet, lorsqu’il a signé le traité du 15 juillet, et pour la nation elle-même, lorsqu’elle a ratifié l’œuvre de son gouvernement par une approbation qui n’est douteuse pour personne. L’Angleterre soupçonne déjà qu’il y a moyen de s’arranger avec la Russie dans l’Orient, autrement qu’à coups de canon. En se plaçant aux bords de l’Euphrate et sur l’isthme de Suez dans une position identique à celle qu’occupe sa rivale sur le Bosphore, elle vient de faire un premier acte de résignation pieuse à la destinée très versée dans la science du droit public, tel que les publicistes des deux derniers siècles l’ont faite, elle a rempli un impérieux devoir en pondérant l’influence russe en Roumélie par l’influence anglaise en Syrie et en Égypte ; elle saura pousser jusqu’au bout cet esprit de résignation, en faisant le sacrifice de ses haines aux nécessités de l’équilibre européen, et la croisade furieuse de M. Urquhart avortera désormais contre la pacifique théorie des compensations.

L’Angleterre n’a certainement pas encore le projet arrêté d’occuper en toute souveraineté la vallée du Nil et les chaînes du Liban ; mais lorsqu’elle s’établissait au fort William et au fort Saint-George, lors même qu’elle gagnait la bataille de Plassey, elle ne soupçonnait pas non plus que d’un tel évènement sortirait bientôt un fabuleux empire de cent millions d’ames. Elle n’a pas conçu à priori la pensée de conquérir les Indes, et cette conquête est sortie de la force des choses, à laquelle il est juste de reconnaître que le cabinet britannique s’est long-temps efforcé de résister. Or, la domination de l’Égypte et de la Syrie, l’occupation des deux routes de l’Inde, la centralisation à Alexandrie du commerce de ce grand peuple dont les deux capitales s’appellent Londres et Calcutta, la réalisation complète des destinées conçues pour la ville d’Alexandre par le génie de son grand fondateur, la domination des fellahs de l’Égypte et des fières tribus de la Syrie, à l’aide du merveilleux système qui ploie sans effort comme sans souffrance sous la civilisation de l’Europe et les peuples du Gange aux mœurs timides, et les hordes indomptées de l’Himalaya ; ce sont là autant de faits contre lesquels nous lutterions désormais en vain, et que les deux mondes peuvent tenir pour irrévocablement consommés. J’ignore si les Anglais évacueront Saint-Jean-d’Acre :