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prépare, est donc le résultat logique du principe posé de prime-abord ; il est manifeste aujourd’hui, quelque pénible que puisse être cette découverte pour les ames honnêtes, que, pour faire prévaloir en Orient notre politique de justice et de loyauté, il fallait avoir avec soi l’un des deux grands intérêts européens qui pèsent sur ce pays et menacent son avenir.

On avait, il est vrai, compté sur l’Autriche, comme si l’on avait ignoré que Vienne ne veut rien contre Londres et n’ose rien contre Saint-Pétersbourg. L’on avait sérieusement entretenu l’espérance que ce cabinet aimerait mieux se mésallier avec la France de 1830 que se mal allier avec l’Europe de 1815, comme si, dans tout projet d’union, les susceptibilités d’une certaine nature ne se résignaient pas plus facilement aux sacrifices des intérêts qu’à ceux de la vanité ! La France n’a pas eu le droit de s’étonner en voyant le cabinet de Vienne, qui, au début de ces négociations, acceptait les bases de notre plan quant à la délimitation territoriale et à l’hérédité des possessions du vice-roi, se rallier soudain à l’Angleterre, dès que la possibilité d’une union a été constatée entre Saint-Pétersbourg et Londres. Il n’était pas douteux non plus qu’une inspiration analogue associerait étroitement à cette politique le cabinet prussien, dont les efforts tendront toujours à montrer à la France l’Europe forte de son unité et liée par les souvenirs de la grande lutte soutenue contre Napoléon.

L’instant décisif de la négociation a donc été celui où le baron de Brunow reparaissait en Angleterre avec de nouvelles propositions, dont il était impossible de méconnaître la portée, puisqu’elles impliquaient très nettement l’abandon des droits exclusifs de la Russie dans la mer de Marmara. Devant le péril de cette négociation toujours ouverte, car le cabinet du 12 mai en avait plutôt suspendu la conclusion qu’il ne l’avait fait repousser, une seule alternative se présentait évidemment. Il eût fallu choisir à l’instant même entre une attitude tellement décidée, qu’il restât démontré pour l’Angleterre que la conclusion d’un arrangement opposé à nos vues entraînerait l’éclatante rupture de notre alliance et celle de la paix du monde, et une politique de transaction qui, sans sacrifier le pacha, aurait constaté dès l’abord que la France n’entendait pas lier son sort et son honneur à la solution de la question des limites de la Syrie. De ces deux politiques, l’une était plus conforme aux engagemens moraux pris par les pouvoirs de l’état, l’autre était, on ne saurait en disconvenir, plus en rapport avec une situation intérieure dont il