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DÉBATS PARLEMENTAIRES.

Quelque jugement que l’on porte, d’ailleurs, sur la politique inaugurée par la chambre dans la session de 1839, il est impossible de méconnaître le soin scrupuleux avec lequel cette politique a été suivie par le cabinet du 12 mai. Le rapport de l’honorable M. Jouffroy est devenu le programme même du ministère, et si cette politique n’a pas été constamment heureuse, elle a été du moins essentiellement parlementaire. Comme la commission, le cabinet du 12 mai poursuivit simultanément un double but : il entendait protéger le pacha contre l’Angleterre, et l’empire ottoman contre la Russie ; mais il donna toujours à ce second protectorat, partagé avec l’Europe tout entière, la première place dans sa pensée ; il fit enfin de l’abolition du traité russe de 1833 le but principal de ses efforts.

Cette direction fut suivie avec une persévérance à laquelle la France est aujourd’hui en mesure de rendre hommage ; et sans provoquer pour ce ministère les honneurs d’un héroïsme posthume, il est juste de reconnaître qu’en ce qui concerne l’occupation temporaire de Constantinople et les conventions d’Unkiar-Skelessi, il s’est montré décidé dans ses paroles comme dans ses actes. Mais une chose manqua toujours à la politique de ce cabinet, ce fut un point d’appui pour faire prévaloir sa double pensée dans la conférence européenne. Les propositions portées à Londres par M. de Brunow en septembre 1839, et reprises en janvier 1840, prouvèrent à l’Angleterre que la Russie, inquiète elle-même de son droit exclusif et des obligations dangereuses que ce droit pouvait soudainement lui imposer, était disposée à en modifier l’exercice. Dès-lors de nouvelles perspectives s’ouvrirent soudain devant la politique britannique, et le cabinet de Londres cessa d’éprouver le besoin de s’appuyer aussi fortement sur celui de Paris. Le concours de la France n’était nécessaire à l’Angleterre que contre la Russie, et du moment où, par une combinaison hardie autant qu’habile, le gouvernement russe consentait à désintéresser l’Angleterre en sacrifiant son traité de 1833, la force des choses plaçait notre alliée dans une attitude hostile en face de nous, puisqu’il ne restait plus dans le débat qu’une seule question, celle de l’Égypte.

Les esprits doués de quelque prévoyance purent donc annoncer comme infaillible le succès de la négociation russe ; ils furent autorisés à dire que de vagues antipathies ne résisteraient pas à des intérêts trop évidens ; ils purent enfin regarder la cause égyptienne comme perdue, du moment où la Russie venait se joindre à l’Angleterre pour en rendre le succès impossible. Ce qui s’est fait, comme ce qui se