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DÉBATS PARLEMENTAIRES.

jets sur l’empire ottoman toutes les antipathies libérales. Elle dénonçait périodiquement à Paris, dans des journaux et des brochures soumis à son influence, le colosse du Nord et l’ours polaire ; et, dans une fièvre risible d’indignation et d’épouvante, elle montrait à la France les Cosaques, à peine établis à Constantinople, se préparant à descendre à Toulon pour opérer une restauration à Paris[1]. Cela s’est écrit, cela s’est cru, cela s’est propagé, aux grands applaudissemens de notre presse.

Ainsi, pendant que la France souffrait profondément derrière ses frontières échancrées, elle repoussait péremptoirement et sans discussion la seule hypothèse qui pût lui permettre d’espérer un remaniement de l’Europe. Elle se clouait à l’alliance anglaise, qui lui ôtait jusque dans l’avenir le plus éloigné toute chance de légitime redressement et d’extension territoriale. Elle écartait les Russes des rives du Bosphore en s’effrayant naïvement de l’extension de la marine moscovite, lorsqu’elle présentait comme un titre à la reconnaissance du monde l’indépendance des États-Unis et la fondation de la marine américaine ! Elle s’inquiétait des progrès de l’industrie dans la Russie méridionale, lorsque l’Angleterre l’avait à peu près supplantée dans son médiocre commerce du Levant ; et pour la question de Constantinople elle identifiait très sérieusement ses intérêts continentaux avec ceux de la puissance maîtresse des îles Ioniennes, de Malte, du cours de l’Indus et du Gange.

Lors de la crise de 1833, cette pensée avait seule préoccupé le gouvernement français, qui n’avait songé à donner aux différends du sultan et du pacha d’Égypte une solution provisoire que dans le but unique de garantir Constantinople. Ce fut sous l’impression de ces précédens que délibéra la commission nommée en 1839 à l’occasion du crédit de 10 millions pour complément des armemens maritimes. Couvrir l’empire ottoman contre l’ambition russe lui parut le premier devoir de la France. Elle n’admit pas qu’une résolution différente pût, en aucune hypothèse, se produire sur ce point, et fit ainsi d’une résistance permanente aux projets prêtés à la Russie un principe fondamental et invariable de la politique française.

Cependant l’opinion commençait à être saisie de faits nouveaux dont il était impossible de ne pas tenir grand compte. L’Égypte s’était organisée sous la main vigoureuse d’un soldat heureux. C’était peut-être moins un peuple qu’une armée ; mais il y avait là le germe

  1. Voyez la Russie, la France et l’Angleterre, etc.