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se produisent, et vainement attendrait-on d’une assemblée délibérante, troublée par les sourds bruissemens de la tempête sociale, ces décisions calmes et prévoyantes des gouvernemens fortement assis sur leurs bases.

La question d’Orient n’a pas été débattue en elle-même : elle a été dominée par des considérations d’ordre intérieur, cela est trop évident. Ce qui n’est pas moins certain, c’est que la solution qui lui a été donnée par la chambre, solution dont plus que personne nous déplorons l’insuffisance, était la conséquence forcée des fautes commises dès l’origine et durant le cours des négociations.

On se rappelle en quelles circonstances l’opinion fut saisie pour la première fois de cet immense intérêt. C’était à la veille de la double catastrophe de Constantinople et de Nézib, lorsque l’empire et le sultan descendaient à la même heure dans la même tombe. La chambre et le pays s’emparèrent avec ardeur de la large perspective que cette question semblait ouvrir devant la France. Si les uns y virent une occasion de relever le pays de la solution donnée aux affaires belge, espagnole et italienne, d’autres, et c’était le plus grand nombre, acceptèrent avec bonheur l’affaire d’Orient comme une entreprise toute nationale, dans laquelle la France aurait enfin à intervenir sans faire appel à des passions révolutionnaires, et sans rencontrer en face d’elle l’Europe conjurée. On le croyait alors. C’était comme une grande puissance maritime et continentale ayant mission de protéger à la fois son influence légitime et l’équilibre européen, c’était au nom de ses intérêts et de ses plus sacrés souvenirs que la nation s’élançait dans ce champ de l’Orient où elle avait fondé des empires et d’où venaient ses plus grandes gloires.

La France est autre chose dans le monde qu’une révolution incarnée : les quatorze siècles de sa vie historique ne se résument pas dans une seule date, et quelque crainte qu’elle puisse inspirer à l’Europe, celle-ci aura toujours besoin d’elle pour toute œuvre durable. Ainsi sentait du moins la conscience publique, lorsqu’elle suivait avec anxiété les évènemens dont le cours paraissait devoir moduler d’une manière heureuse notre situation dans le monde.

Malheureusement l’opinion était déplorablement préparée pour atteindre un tel résultat, et les idées les plus fausses, alors généralement répandues, ne permettaient guère d’entrer de prime-abord dans une voie pratique et prudente. L’Angleterre, par une multitude de publications, s’était attachée à établir l’identité des intérêts anglais et français en Orient, en armant contre la Russie et ses pro-