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VINETTI.

énigme gracieuse, noble fille des Pharaons, je veux t’aimer comme une sœur dans ton manteau d’azur ; et si je dois te perdre, je me souviendrai toujours de toi pendant mes heures de bonheur, de toi, le plus charmant mystère que j’aie rencontré dans ma vie.

— Ce que la parole humaine ne peut rendre, même dans le transport de l’enthousiasme, reprit Frédéric, ces idées intimes et profondes, ces souvenirs immédiats du passé, une fleur les exprime dans son langage de couleurs et de parfums. C’est l’histoire du monde qui s’épanouit devant nous, dans cette fleur si délicate et si frêle.

— Oui, poursuivit L…, semblable à ce lotus mystique d’où le Brahma indien s’élance dans la création, cette fleur renferme en son calice l’Égypte ancienne, l’Égypte avec ses siècles, ses dieux et ses croyances. Cette fleur est l’ame du monde antique.

Et Melchior, penché sur l’amaryllis bleue comme sur un œil vivant dont le charme le fascinait : — Tes racines, dit-il, plongent dans les profondeurs des âges mythiques, douce fleur du sentiment et de l’amour, et tu lèves ta tête à travers les siècles, dont nous respirons l’esprit en ton haleine. Salut donc, ô fleur sainte ! salut, nous adorons ton mystère. Ainsi ce qu’il y a de plus fragile au monde est éternel. Prophétesse, nous comprenons ta langue symbolique, qui nous annonce l’évangile des temps nouveaux et nous parle d’un dieu dans l’histoire du monde, d’un dieu qui rattache par d’invisibles liens le passé antique au jour d’hier, le jour d’hier au jour d’aujourd’hui et de demain, et dont la présence éternelle porte partout l’ordre et l’harmonie dans la succession des temps.

Cependant la lune s’était levée, les nuages qui menaçaient pendant le jour avaient disparu, emportant avec eux les éclairs et les sourds roulemens du tonnerre ; de tout cet appareil d’orage il ne restait dans l’atmosphère que quelques vapeurs transparentes. Déjà, depuis long-temps, la barque qui devait nous ramener à la ville nous attendait sur le fleuve.

L… et sa jeune femme nous reconduisirent jusqu’à la rive, à travers le jardin tout étoilé de vers luisans, tout embaumé de centifolias et de lys qui s’exhalaient à chaudes bouffées.

— Adieu, — à revoir. — Et déjà nous ramions sur les eaux, dont le courant nous entraînait au-devant d’un riche arc-en-ciel d’opale, qui, par cette belle nuit d’été, semblait un pont merveilleux jeté par les Elfes et les Esprits des rosées entre le firmament et la terre.


Henri Blaze.