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VINETTI.

était venu à travers les solitudes s’établir en Égypte, avant même qu’Osiris eût ici son temple ; et c’est ce peuple que les prêtres et leurs rois ont chassé de sa seconde patrie, ce peuple qui survit aux Pharaons, à Thèbes, à Memphis, à tous les rois, à toutes les cités, à tous les dieux du monde antique, et qui, des siècles s’étant écoulés, disait au rival de Mahomet, au kalife Omar, ces paroles superbes : « Nous descendons de Zig et nous aimons les chevaux ; nous n’avons ni villes ni maisons, et ne portons sur notre face aucun signe qui nous distingue ; nous sommes Bohêmes ! » Et voilà qu’aussi, après des siècles, un homme de cette race met le pied sur cette terre et s’écrie encore : « Je suis Bohême ! pourquoi tressaillir, beau lézard vert ? Et toi, ma fleur bleue, noble fille des Pharaons, où séjournes-tu désormais ? »

S’il vous arrive de plonger d’en haut sur ces plaines infinies, sur ces vastes enchaînemens de montagnes, tout se confond à vos yeux ; vous prenez des rocs de granit pour d’antiques monumens égyptiens, et les monumens pour des rocs de granit. On dirait que ces temples, ces palais, se dégagent d’eux-mêmes des contours de ces montagnes. L’art est ici comme un épanouissement de la nature. Un degré de plus à cette nature puissante, et vous avez l’art égyptien.

Je retrouve ici tous ces hommes représentés sur les monumens du monde antique. Mêmes visages, même air, mêmes costumes ! Ceux d’aujourd’hui trafiquent pour vivre des momies de leurs ancêtres !

Si j’avais une patrie quelque part sur la terre, je voudrais m’y rendre pieds nus, en mendiant, en me traînant sur les genoux à travers les steppes embrasées, en m’abreuvant des larmes d’un ravissement ineffable. Je n’ai point de patrie ! Irai-je vers ces rives luxuriantes où le Gange verse à flots les trésors de ses ondes fortunées ? Mais que dis-je ? là ma race est proscrite des dieux et des prêtres, et nos frères sont des parias. Irai-je plus avant dans les sables et les solitudes ? Hélas ! ni l’Océan ni le désert ne donnent une patrie à l’homme.

Pourquoi me plaindre ? là-bas où mon père est enseveli, dans le petit champ qui touche au cimetière ; là-bas en Allemagne, près de la mer du Nord, sous le saule vert, est ma vraie patrie. L’Inde et l’Égypte disparaissent, et la mer d’Allemagne m’apporte les vents qui soufflent sur la tombe de mon père ; je les entends me crier : Seph, Seph, mon fils ! où es-tu ?

Pendant les fraîches nuits d’Orient, tandis que nous veillons à l’avant-poste autour des feux de garde, mes camarades et moi, nous