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lamentables ; on implore, on s’agenouille, on demande grace, l’insurrection est apaisée ; vive Bonaparte !

La Porte nous a déclaré la guerre. Avec elle l’Angleterre et tout l’enfer se déchaînent contre nous. Bonaparte se précipite sur la Syrie, Davoust va porter du renfort au général Desaix dans la Haute-Égypte ; la tragédie marche à sa catastrophe, chaque acteur est un héros.

Pendant la marche.

Parmi les guides de Davoust, en avant du régiment, je vole sur un dromadaire à travers les déserts de feu. Là-bas est la mer Rouge, plus loin Gidda et la Mecque. Quelle distance faudrait-il parcourir encore avant de trouver le Gange ! De l’autre côté, pour atteindre à la prochaine oasis, on compte soixante heures, et ainsi de suite d’oasis en oasis ; d’abord Sennaar en Nubie, puis Dar-fux, puis enfin, après cent jours de marche, Tombouctou ! Ainsi l’espace et le temps disparaissent devant l’infatigable course du chameau, ce navire des océans de sable. Les peuples ne sont pas faits pour s’enfermer chez eux, les peuples ne sont pas des ânes à l’étable, mais des aigles royaux qui se croisent dans l’air, sillonnent l’espace en tout sens, et portent toujours plus loin la gloire de leur nom. — Je suis Bohême !

Pas un bloc de granit sur la route, qui ne soit couvert d’hiéroglyphes ; on dirait que ces pierres veulent causer avec l’homme qui passe et ne comprend rien à leur langue muette. Savez-vous où fleurit Vinetti, ma fleur bleue ? Silence, fantômes du passé ! silence, cœur sauvage, tatoué, toi aussi, d’hiéroglyphes !

En Thébaïde.

C’en est fait du terrible Mourad, nous l’avons mis en déroute près de la nécropole de Gournah et refoulé tout sanglant vers la steppe.

Nous voici au cœur du monde antique, devant Thèbes, l’immense ruine, Thèbes, le prodige et l’énigme des temps antiques et nouveaux. Les savans français la tirent du sommeil de la mort ; ils éveillent les spectres de ses murs au grand jour de la littérature !

Ici le Nil fait un coude vers l’Orient, et des deux côtés la chaîne des montagnes s’arrondit, et la plaine de Thèbes s’étend au milieu. Au-delà commencent les déserts de Typhon. Dans la vallée du Nil, la vie et la fécondité ; tout à l’entour la mort et la sécheresse. La religion et l’histoire de l’Égypte n’ont pas d’autre berceau. L’Égypte, c’est le Nil avec ses rives limoneuses ; en dehors du Nil il n’y a que granit et que sable.