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L’ÉCOLE D’ALEXANDRIE.

ils ne tiennent plus le même rang, je l’avoue, dans les rues de la cité et sur les places publiques ; mais c’est le moment où ils remplissent l’histoire.

L’histoire de l’école d’Alexandrie, esquissée, même rapidement, fera ressortir cette unité qui semble avoir échappé à M. Matter. Mais il faut d’abord montrer par quelle série d’évènemens Alexandrie était devenue, aux premiers siècles de notre ère, la véritable capitale du polythéisme et de la philosophie païenne.

Alexandrie a une histoire littéraire dès le premier jour. Ce n’était pas seulement une cité grecque ; elle avait été fondée par Alexandre, le royal disciple d’Aristote, versé lui-même dans la philosophie et les lettres, et dont on connaît l’amour passionné pour Homère. Les Lagides, entre les mains desquels tomba cette proie, quand fut dissous l’empire d’Alexandre, au lieu de se faire Égyptiens, entreprirent de rendre l’Égypte grecque, et, toujours Macédoniens par l’esprit et par le cœur, appelèrent à eux les arts et la littérature de leur pays. Rien ne leur coûta pour implanter en Égypte la civilisation de la Grèce. Ils ne réussirent qu’à moitié. Le peuple égyptien, avec ses castes et ses mœurs éternelles, tenait à son passé par des liens trop forts pour entrer dans une voie nouvelle ; mais la colonie grecque vit accourir chaque jour des hôtes plus nombreux et plus illustres. Ces deux civilisations si opposées se rencontrèrent, sans se mêler, sur les bords du même fleuve, objets d’étonnement et peut-être de mépris l’une pour l’autre. C’est en vain que Ptolémée-Soter, dans un esprit de sage conciliation, éleva dans sa capitale un temple aux divinités de l’Égypte. Ses nouveaux sujets se groupèrent autour du temple, laissant aux Grecs les autres quartiers, et le roi, au lieu d’une ville mixte qu’il voulait avoir, eut deux villes dans les mêmes murailles.

Ce n’était pas en élevant des temples à Jupiter ou à Minerve qu’on pouvait attirer les Grecs dans Alexandrie. Depuis long-temps les Grecs n’adoraient plus leurs dieux que dans Homère. Les Ptolémées érigèrent un musée, fondèrent une bibliothèque ; ils firent leurs commensaux et leurs amis des savans qui affluaient dans leur cour ; plusieurs rois de la dynastie de Lagus cultivèrent eux-mêmes les lettres avec succès, et, grace à cette protection libérale et éclairée, Alexandrie ne tarda pas à devenir le foyer de la civilisation grecque.

Démétrius de Phalère, exilé d’Athènes, dont il avait presque été le roi, et réfugié à la cour de Ptolémée-Soter, devint le conseiller et l’ami de ce prince, et dirigea sous lui la construction du musée et de la bibliothèque. Démétrius avait été l’ami de Théophraste, qui venait