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L’ÉCOLE D’ALEXANDRIE.

Lagides, compose une bibliothèque, élève un musée, rassemble les savans et les érudits, et prend en quelque sorte la place d’Athènes à la tête de la civilisation grecque. On voit cette activité littéraire s’étendre et s’accroître, presque sans interruption, jusqu’aux premiers siècles de notre ère ; puis tout à coup Alexandrie abandonne la philologie et les lettres, jusque-là son unique étude, et s’attache à la philosophie qu’elle avait cultivée avec moins d’éclat. C’est alors que se produit l’école néoplatonicienne, dans laquelle viennent s’absorber toutes les philosophies de la Grèce et de L’Orient, et qui lutte seule, pendant cinq cents ans, pour les dieux et les traditions, contre le christianisme et l’esprit nouveau. Cette grande école occupe une telle place, non-seulement dans l’histoire des systèmes, mais dans l’histoire générale de l’esprit humain, que tous les travaux précédens accomplis à Alexandrie ne semblent destinés qu’à la préparer et à la rendre possible.

Il y a donc unité parfaite dans cette histoire, qui embrasse près de dix siècles. L’école néoplatonicienne est tout, et ce qui précède ne semble être là que pour concourir à la former. Une histoire de l’école d’Alexandrie doit faire ressortir cette filiation : elle doit montrer comment cette unique philosophie résume toutes les philosophies, toutes les religions, toutes les mœurs de l’antiquité. Il faut qu’en la comparant avec le christianisme, elle éclaire à la fois la philosophie qui va naître et celle qui va finir, et que l’on voie apparaître, dans un même moment et avec une égale évidence, ce qui a fait la force et la durée du polythéisme antique, et ce qui fait au fond sa faiblesse et son néant.

M. Matter, qui publie un livre sur l’école d’Alexandrie, n’a pas été frappé de l’importance capitale de la question philosophique. Tout l’intéresse au même titre dans ce qu’il raconte, ou plutôt la philosophie et tout ce qui s’y rapporte l’intéresse moins que le reste, car il mentionne à peine en passant les noms de Plotin, de Proclus, et se borne à nous promettre de consacrer plus tard un volume à l’exposition des doctrines philosophiques. Ce n’est pas une heureuse inspiration que d’avoir ainsi mis de côté la philosophie dans l’histoire d’une école qui doit à la philosophie son importance et son éclat. On ne se douterait guère, en lisant M. Matter, que pendant une période de cinq siècles, où le christianisme grandissait chaque jour, les alexandrins ont été à la tête de la résistance ; qu’ils ont lutté pour les doctrines du paganisme, dont ils étaient alors les uniques représentans ; que pour opposer avec quelque chance de succès ces vieux systèmes