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du roi Philippe Ier, le droit d’investiture, c’est-à-dire les principes suivant lesquels les grades et les bénéfices ecclésiastiques devaient être conférés, et enfin plusieurs réformes disciplinaires très urgentes furent les principaux points mis en délibération. La scène a un aspect beaucoup plus animé dans l’œuvre de M. Michaud : « Les fidèles, dit-il, accourus de toutes les provinces, n’avaient qu’une seule pensée ; ils ne s’entretenaient que des maux des chrétiens de la Palestine ; ils ne voyaient que la guerre qu’on allait déclarer aux infidèles, etc. » Le spirituel historien ne peut dissimuler que les affaires de l’église latine n’aient absorbé d’abord l’attention du concile ; mais pour conserver le relief de son principal personnage, il lui prête une ruse pieuse, qui sans doute était bien éloignée de son intention. Il suppose que par un retard adroitement calculé le souverain pontife voulait exciter l’impatience des soldats du Christ et concentrer l’enthousiasme pour que l’explosion en fût plus terrible. M. Prat, dont la principale ambition est de rétablir la vérité des faits, analyse avec soin les trente-deux décrets du concile de Clermont, et il ne trouve qu’un seul canon à rapporter à la croisade : c’est le deuxième qui est conçu en ces termes : « Quiconque, par dévotion et sans aucune espérance d’honneur mondain, entreprendra le voyage de Jérusalem, obtiendra, en raison de ce voyage, une rémission pleine et entière de ses péchés. » Il est curieux encore de comparer l’habile et chaleureuse allocution que M. Michaud a mise dans la bouche du pape Urbain avec la reproduction littérale du véritable discours donné par M. Prat, d’après Guillaume de Tyr. Le trop fidèle traducteur a fort bien caractérisé ce morceau en disant que « l’érudition pédantesque, la recherche d’esprit, le mauvais goût, y étouffent à peu près le sentiment. » On ne comprend plus dès-lors que cette longue et traînante homélie, accueillie avec enthousiasme, ait été couronnée par le cri unanime de : Dieu le veut ! qui devint la devise des croisades.

Après avoir amoindri le rôle des deux promoteurs de la guerre sainte, on se demande quelle influence a déterminé cet ébranlement, dont les oscillations ont continué pendant deux siècles. Un historien de l’école voltairienne a pensé que les Occidentaux prirent les armes pour rétablir d’importantes relations commerciales, interrompues par l’invasion des hordes turques. Selon nous, on se rapprocherait plus de la vérité, surtout à l’égard de la France, en disant que les populations, décimées par la faim, ont obéi instinctivement à ce besoin de déplacement qu’on éprouve quand on souffre. On croyait assez généralement alors que le sol français était surchargé d’habitans. Qui sait si les pauvres qui partirent les premiers, avec leurs femmes et leurs enfans, n’emportaient pas l’espoir de s’établir dans une terre promise ? Quant à la seigneurie, les brillans résultats de quelques entreprises récentes avaient dû la mettre en goût d’aventures. L’Italie méridionale était devenue la proie de quelques pillards normands ; le duc Guillaume venait de conquérir l’Angleterre ; le comte Henri de Bourgogne s’était fait place avec son épée dans la péninsule espagnole ; partout la royauté semblait le lot du plus brave. Or, la guerre sainte