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là, avant tout, de l’homme et de la société, et c’est aux politiques, c’est aux philosophes de juger. Ils ont donné ou ils donneront leur avis.

Tandis que, dans l’ordre sérieux, ces livres se produisent et demandent à être appréciés à part avec étendue, avec réflexion, tandis que l’agrément, la fantaisie, l’art véritable, se recueillent et se taisent, la littérature exclusivement active (dirai-je la littérature industrielle ?) s’épuise, se ralentit, disparaît, et réfugiée au bas des journaux quotidiens, où elle dispute à la politique un dernier refuge, ne fournit même plus à la critique son aliment habituel. Il y a prostration véritable, ou au moins intervalle calme. Les jeunes poètes eux-mêmes qui, presque tous avec talent (et c’est là le malheur), viennent noblement offrir leur volume hebdomadaire en holocauste à ce roi implacable et sourd que M. Michaud appelait sa majesté le public, et qui, dans la banalité facile du rhythme actuel, ont fait chacun la même ode splendide, la même élégie harmonieuse, écho affaibli des Orientales ou des Méditations, les jeunes poètes eux-mêmes, toujours trompés, si confians, semblent depuis quelque temps concourir aussi à ce silence momentané des lettres.

Il est d’autres régions où la vie littéraire se montre plus active. À la Sorbonne, par exemple, il y a toute une renaissance de littérature grave et sérieuse qu’il est juste de signaler.

La révolution de juillet a fait une singulière condition à la Faculté des lettres ; elle a illustré ses membres et dispersé son enseignement. Sans doute il est glorieux pour elle de voir se perpétuer sur ses programmes des noms de ministres, hier le nom de M. Cousin, aujourd’hui ceux de M. Guizot et de M. Villemain ; il est glorieux pour elle de briller à la tribune par la parole de M. Jouffroy, de compter dans ses rangs actifs des députés distingués, comme l’était, comme le redeviendra M. Saint-Marc Girardin ; il faut l’avouer, la Sorbonne paie un peu cher cette illustration parlementaire. Il n’y a, à l’heure qu’il est, que trois professeurs titulaires qui enseignent. Mais si de ce côté la position de la Faculté des lettres de Paris ne s’améliore pas, et cela est bien difficile, puisqu’elle ne souffre que par sa gloire, les inconvéniens sont aujourd’hui bien moindres que dans les années qui ont immédiatement suivi la révolution de juillet. Que de cours médiocres alors, que d’amphithéâtres déserts ! quel contraste surtout avec ce brillant enseignement de M. Guizot, de M. Villemain, de M. Cousin, qui est resté une date universitaire, et, qui plus est, une date intellectuelle, politique. Aujourd’hui les quelques professeurs suivis alors et applaudis ont gardé, ont agrandi leur succès ; plusieurs suppléans se sont formés à cet art difficile de la chaire et tiennent maintenant leur place avec distinction. Voilà aussi que de jeunes talens pleins d’ardeur se mettent à leur tour en lumière à côté des maîtres. Disons quelques mots de tout cela, et sans ordre, sans viser surtout à être complet et à ne pas omettre, donnons leur part à quelques noms connus comme à quelques noms nouveaux.

L’esprit a droit à la première place en France : je parlerai d’abord du cours de poésie française de M. Saint-Marc Girardin. Il y a long-temps déjà que M. Saint-Marc connaît les succès de la Sorbonne, et il n’en est plus à chercher