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REVUE. — CHRONIQUE.

Cependant on n’est pas du pays de Mozart et de Beethoven pour rien ; les Viennois voulurent connaître. On fit venir de Paris l’ouverture des Francs-Juges ; on l’exécuta, pour mieux dire, essaya de l’exécuter, car dès la vingtième mesure le rire suspendit la séance, un rire fou, ce rire de l’orchestre et de l’auditoire, ce rire unanime dont la musique de M. Berlioz a le secret depuis l’Olympe d’Homère, et qui suffirait à fonder sa gloire dans l’avenir : car prises à leur véritable point de vue, au point de vue des Viennois, les élucubrations de M. Berlioz contiennent plus d’élémens comiques que Rabelais n’en a mis dans Pantagruel. Cependant, comme tout le monde ne pense pas que l’art des sons ait été imaginé dans le seul but de désopiler la rate, le dilettantisme viennois eut bientôt fait de laisser là cette malencontreuse ouverture des Francs-Juges, et de revenir au plus vite à l’ouverture de Coriolan, à la symphonie en ut mineur, que sais-je ? aux walses de Strauss, à toute chose sérieuse ou non, ayant droit de s’appeler musique. Voilà un fait. M. Berlioz peut nous écrire tant qu’il voudra ; nous ne lui répondrons plus : seulement, s’il parvient à nous démontrer notre inexactitude sur ce point, aussi victorieusement qu’il l’a fait sur l’autre, nous consentons de grand cœur à proclamer que la reine Mab (la sienne bien entendu) est un chef-d’œuvre de mélodie et de clarté, et que les quatre ou cinq cents musiciens de son festival n’avaient pas le sens commun lorsqu’ils refusèrent à l’unanimité de débrouiller ce grimoire.



REVUE LITTÉRAIRE.

Comme la politique, la littérature a sa session, et c’est l’hiver ordinairement que les livres paraissent, que l’activité redouble, que les écrivains règlent leurs comptes avec le public. Cette année, l’éclat, le retentissement, la gravité des luttes parlementaires semblent tenir jusqu’ici les romanciers et les poètes dans la réserve. Le drame réel l’emporte sur les fictions. Dans ces derniers mois, il n’a paru que de gros livres, des livres considérables, considérables au moins par le but, et où la littérature, la forme, ne viennent nécessairement qu’en seconde ligne, puisqu’il y est question tout simplement de refaire la philosophie d’un bout à l’autre, ou de reconstituer la société, notre vieille société, sur des bases absolument nouvelles. L’Humanité, de M. Leroux, l’Esquisse, de M. de Lamennais, ne sont pas précisément des ouvrages littéraires ; il s’agit