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ou pour le moins douteuse. Baroilhet est maigre et chétif : il suffit de le voir pour se convaincre que sa nature exige les plus grands ménagemens : quoi qu’il en soit, il y a quelque chose de fantastique dans cette voix grave et stridente enfermée en un corps si grêle et si petit et nul doute qu’à l’époque où M. Meyerbeer écrivait encore pour l’Académie royale de Musique, l’illustre maître n’eût tiré bon parti de l’organisation d’un pareil chanteur, d’autant plus que Baroilhet a du feu dans le regard, de l’ironie dans le sourire, et sa physionomie rappelle par momens l’expression diabolique de Paganini. Le succès de Baroilhet a été très grand.

Il devient de jour en jour si rare d’entendre chanter à l’Opéra, que lorsque le cas se rencontre l’enthousiasme ne se contient plus. En tout autre lieu, au Théâtre-Italien par exemple, et dans le voisinage de Tamburini, le prodige aurait pu sembler moindre. Nous n’avons aucune envie d’établir entre ces deux chanteurs une comparaison inadmissible sur tous les points. Il y a aussi loin de Tamburini à Baroilhet qu’il y a loin de Rubini à Duprez ; ce que nous en disons ici est simplement pour réduire à leur valeur les frénétiques démonstrations d’un enthousiasme surexcité. Tamburini passe à bon droit pour un chanteur varié, complet, également admirable dans le chant large, moderato, et dans les emportemens de la voix. Entendez-le chanter la cavatine du premier acte de la Lucia ou l’adagio du finale de la Straniera, c’est toujours la même voix, distribuée autrement, mais forte, puissante, sûre d’elle-même dans le calme comme dans la passion. Or, voilà justement ce qui manque à Baroilhet, ce que l’étude ne saurait lui donner. La voix de Baroilhet a de bons effets, nul ne le conteste, mais seulement dans certains registres, seulement à certaines conditions. On aura beau dire, c’est là un chanteur italien, rien de plus, rien de moins, un virtuose. Pour que Baroilhet puisse rendre quelque service à l’Opéra, il faut absolument que l’Opéra déserte la route de ses anciens succès pour s’adonner corps et ame au pur système italien, au système de la cavatine sans raison, de la cavatine dans les duos, dans les quatuors, dans les finales, de la cavatine partout et quand même. Nous le voulons bien, mais alors quels maîtres écriront pour l’Académie royale ? qui alimentera le répertoire ? M. Donizetti. À merveille ; mais après ? M. Donizetti. D’accord ; mais enfin ?… Baroilhet voudra-t-il aborder les grands rôles, Guillaume Tell, Robert-le-Diable, les Huguenots ? Franchement le pourrait-il ? Quelle partie lui conviendrait dans ces chefs-d’œuvre de la scène française. La voix de Baroilhet ne peut chanter que la musique écrite expressément pour elle. C’est une voix de cavatine, une voix de luxe ; or, dans le dénuement absolu où se trouve aujourd’hui l’Opéra, un sujet de ce genre est-il bien de circonstance ? L’avenir en décidera. Duprez, dans le rôle de Fernand, crie à s’égosiller. Il s’agit bien de la cavatine d’Arnold à cette heure ? Nous avons fait du chemin depuis Guillaume Tell. À tout instant, le paroxisme du fameux ut de poitrine se renouvelle, et cet effet, si puissant autrefois, a désormais perdu toute action sur le public.

Que d’efforts, bon Dieu ! que de labeur, que de terribles contorsions sans