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La princesse Caroline, mère de Mme la duchesse d’Orléans, aimait à le voir, à s’entretenir avec lui. C’était, au dire de tous ceux qui l’ont connue, une femme d’un esprit élevé et d’une bonté de cœur angélique[1]. Schiller éprouvait pour elle un sentiment de vénération et de reconnaissance qui seul aurait suffi pour l’attacher à Weimar, s’il n’y avait été fixé d’ailleurs par d’autres liens. Le grand-duc, en lui permettant de venir habiter cette ville, lui avait assuré une pension de 1,000 écus. Peu de temps après il demanda à l’empereur d’Autriche et obtint pour lui un titre de noblesse. C’était une singulière faveur pour celui qui n’avait jamais chanté que la démocratie ; mais Schiller ne vit là qu’une aimable intention et en fut reconnaissant[2].

Malheureusement sa santé allait toujours en déclinant. Plus d’une fois déjà il avait donné de sérieuses inquiétudes à ses amis ; il avait lui-même été ébranlé par l’idée d’une mort prochaine. Puis son énergie morale, luttant contre ses douleurs physiques, lui rendait une apparence de vie, puis il retombait dans une nouvelle faiblesse. En 1805, il fut atteint d’une fièvre catarrhale, qui d’abord ne présentait aucun caractère alarmant, mais qui bientôt empira d’une manière effrayante. Tous ceux qui le connaissaient et qui l’aimaient, car le connaître c’était l’aimer, furent consternés de cette nouvelle. Mais lui ne montra nulle frayeur : il fut, jusqu’à son dernier jour, bon et affectueux envers ceux qui l’entouraient, comme il l’avait été toute sa vie. Sa plus grande crainte était que sa femme se trouvât près de lui lorsqu’il pressentait quelque crise violente. Dans les momens où il était mieux, il se faisait lire des traditions populaires, des contes de chevalerie ; puis il parlait avec calme et douceur de sa femme, de ses enfans, et de son drame de Démétrius, auquel il essayait encore, mais en vain, de travailler. Le 8 mai, il demanda à voir sa plus jeune fille, la prit par la main, la regarda avec une profonde douleur ; puis, tout à coup, se détournant d’elle, cacha sa tête dans son oreiller et pleura amèrement[3]. Le soir sa belle-sœur lui demanda comment

  1. Ein himmlisches gemuth, un caractère céleste, dit Gustave Schwab. — Elle épousa en 1810 le grand-duc de Mecklenbourg, et mourut en 1816.
  2. « Vous allez rire, écrivait-il à Humboldt, en apprenant ma nouvelle dignité. C’est notre duc qui en a eu l’idée, et, puisque la chose est faite, je l’accepte avec plaisir pour ma femme et mes enfans. »
  3. Schiller laissait après lui un fils et deux filles, que la grande-duchesse de Weimar se chargea généreusement de faire élever. Le fils est aujourd’hui conseiller d’appellation à Cologne ; une des filles a été mariée au baron de Gleichen, l’autre au conseiller Junot de la Thuringe.