Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/877

Cette page a été validée par deux contributeurs.



REVUE MUSICALE

La Favorite, que l’Académie royale de Musique vient de représenter, est le troisième opéra dont M. Donizetti dote la France. En moins de quinze mois, trois partitions, la Fille du Régiment, les Martyrs, la Favorite, c’est avoir la main leste ; et les gens qui décident de la valeur d’un maître d’après le nombre de fois que son nom se produit sur l’affiche, doivent être fort satisfaits. Il semble cependant qu’un homme du talent de M. Donizetti aurait pu envisager les choses d’une manière plus grave, et ne pas exposer à des revers nécessaires une renommée devenue européenne, et qui s’appuie sur des titres tels que l’envie et l’impuissance les contestent seules encore aujourd’hui. Puisque c’est une opinion généralement reçue, et, sous plus d’un rapport, assez légitime, que Paris exerce sur toute œuvre d’art un arbitrage suprême, il semble que M. Donizetti aurait dû rassembler toutes ses forces et prendre toutes ses mesures avant de s’aventurer dans une épreuve semblable. Or, c’est justement ce qu’il n’a point fait. M. Donizetti est venu à Paris comme il serait allé à Milan ou à Florence, non comme un homme de génie dans sa liberté, mais comme un maestro à la tâche ; il a écrit pour l’Opéra comme il eût fait pour la Scala ou la Perzola, dépêchant la besogne, se libérant au plus vite de ses engagemens pour en contracter d’autres, en un mot nous traitant avec un laisser-aller plus que napolitain ; tout cela au grand dommage de sa réputation ébranlée ici par trois échecs presque simultanés, et dont le contrecoup trouvera, nous le craignons bien, un retentissement en Italie. Du reste, ce n’est pas la première fois que le cas se présente. Il n’y a guère que les Allemands qui se préoccupent de l’importance d’une telle entreprise. Rossini lui-même, si l’on s’en souvient, donna, en débarquant, dans le travers dont nous parlons ; mais Rossini est un homme d’infiniment d’esprit et de tact qui, lorsqu’il se trompe, ne met pas long-temps à s’en apercevoir. Après le replâtrage du Siége de Corinthe parut la composition sublime de Moïse, puis après le Comte Ory, Guillaume Tell, c’est-à-dire une transformation tout entière, c’est-à-dire le plus noble hommage qu’un grand maître puisse rendre au goût d’un grand pays.

La Favorite a pour elle tous les élémens qui de temps immémorial constituent dans les règles un mauvais opéra italien. Les motifs les plus vulgaires se rencontrent comme s’ils s’étaient donné rendez-vous, les duos se suivent et se ressemblent ; les réminiscences et les plagiats ne prennent plus même la peine de se déguiser dans leurs allures ; les airs de bravoure non plus ne manquent pas. Chaque personnage a sa cavatine qu’il chante à grand fracas de