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pour la couronne en était l’expression. Mais quelques jours se sont à peine écoulés, qu’il a fallu la professer moins ouvertement. Sans changer l’idée, on a dû modifier les paroles, et le langage est devenu un peu plus fier en cessant, je le crois, d’être aussi vrai. Dans un régime de discussion publique, il y a des choses beaucoup plus difficiles à dire qu’à faire, et je crains que la politique d’abnégation nationale ne soit bonne que pour la pratique.

L’histoire de la discussion de l’adresse contiendrait sous ce rapport plus d’un enseignement.

On peut se rappeler que jusqu’au jour où la prise de Beyrouth fut annoncée, il semblait n’y avoir en France qu’une opinion sur le traité de juillet et ses conséquences. Le gouvernement n’avait eu qu’à modérer la vivacité quasi-belliqueuse de tous les partis. Les conservateurs n’étaient pas les moins ardens. Mais dès que le canon de la flotte anglaise eut retenti, et qu’un danger sérieux eut menacé et l’Égypte et la paix, dès que l’on comprit que le temps des paroles et des préparatifs était passé, et que le jour arrivait de résoudre et de risquer quelque chose, un mouvement pacifique se prononça, et tout aussitôt on découvrit que le sort du pacha intéressait peu la France, que le traité des quatre puissances avait une importance médiocre, que toute guerre était insensée, qu’un ministère qui croyait la guerre possible, la voulait à tout prix et déchaînait gratuitement au dedans comme au dehors le monstre révolutionnaire. Il devint aussitôt indispensable de sauver l’ordre et la paix, la France et l’Europe, et sur-le-champ il se trouva des sauveurs. La chambre qui s’assemblait fut dûment avertie qu’elle venait de courir un grand péril ; ceux qui arrivaient portés pour la politique éventuellement belliqueuse furent retournés pour la politique invariablement pacifique. En même temps, toutes les passions que depuis quatre ans ont fomentées les divisions parlementaires dont nous avons été témoins se ranimèrent ; la politique de transaction semblait les avoir assoupies, une politique de réaction les réveilla. Pour amener la réaction, un appel avait été fait à la peur. La peur chercha un puissant auxiliaire, la haine. On décrirait difficilement tout ce que pendant quinze jours la peur et la haine, combinant leurs efforts, ont tenté pour émouvoir, tromper, entraîner les hommes dont on voulait se composer un parti

On n’examinera point si le ministère a flatté les passions qui l’ont servi. Nous ne jugeons que sa politique. Au premier abord, elle paraissait absolue. Il voulait la paix et n’en doutait pas. La situation n’avait pour lui que les difficultés qu’on avait créées. La