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d’avoir toujours nourri la pensée de reconstituer le traité de Chaumont. Pour en faire quoi ? La Russie elle-même l’ignore, et ses desseins sont au-dessous de ses sentimens. Elle a encore plus la prétention que l’intention d’être hostile au gouvernement de juillet. Quant à l’Autriche et à la Prusse, il ne faut leur demander compte de rien. Elles trouvaient l’une et l’autre, surtout la première, que la France avait raison dans la question d’Orient ; mais on ne saurait attendre d’elles l’impertinence d’avoir raison avec la France contre le reste de l’Europe. L’Allemagne en général n’a garde de déplaire à l’empereur Nicolas, et l’Autriche elle-même, pressée par l’Angleterre qu’elle aime et la Russie qu’elle craint, ne pouvait hésiter à signer ce qu’elle désapprouvait. N’est-ce rien, après tout, que la destruction de l’alliance anglo-française ? Il y a dix ans que cette alliance fait le scandale des cours du continent. Grace au ciel, la voilà brisée ; l’Europe est soulagée du poids qui l’oppressait.

Peut-être l’Angleterre n’a-t-elle pas su, en concluant ce traité, qu’elle rompait avec la France, elle ne s’est pas dit qu’elle changeait d’alliance ; mais la raison de cette ignorance, on ose à peine la donner. C’est qu’on professait à Londres que le gouvernement français était de ceux avec qui l’on ne se brouille pas. La France supportera tout ; cette maxime y était passée à l’état de chose jugée. On a donc pu s’y promettre de la retrouver, après le traité signé et exécuté, à peu près la même qu’auparavant, un allié incertain qui ne peut jamais devenir un ennemi. Telle est l’opinion que depuis quelques années l’Angleterre et peut-être le monde se sont faite de notre pays. Est-elle fondée ?

Cette opinion, le ministère du 1er  mars a tout fait pour la détruire. Cette opinion, le ministère du 29 octobre paraît avoir été formé pour la confirmer, et jusqu’ici il n’a rien fait pour la démentir.

On aurait dû prévoir ce dénouement. Ceux qui, après le 15 juillet, témoins de la vivacité avec laquelle le pouvoir, le public, la presse, prenaient l’évènement, concluaient que le jour était venu où la politique changerait, où les paroles seraient le programme exact des actes, prouvaient leur patriotisme plus que leur discernement, et n’avaient que médiocrement profité des leçons du passé. Faire grand bruit au commencement de toutes les affaires, beaucoup promettre ou beaucoup menacer, puis, le moment venu, ne pas agir et ne se trouver fidèle ni dans les promesses, ni dans les menaces, c’est un système de conduite qui ne manque pas de précédens. N’en accusons pas le gouvernement seul. Ni les chambres, ni l’opinion publique ne sont