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QUESTION D’ORIENT ET DISCUSSION PARLEMENTAIRE.

deux parties à l’arrangement direct. Une seule chose pouvait paraître, non pas répréhensible en soi, mais peu habile, c’eût été de négocier secrètement un traité qui, notifié tout d’un coup, eût fait tomber brusquement tous les pourparlers de Londres.

Eh bien ! la France n’a rien fait de tout cela. Lorsqu’au mois de juin le vice-roi a offert au sultan de lui rendre sa flotte, on a attribué cette louable détermination à l’influence de notre cabinet. C’était lui faire grand honneur. Certes, il aurait été heureux d’y contribuer ; mais la vérité authentiquement prouvée, c’est qu’il était resté complètement étranger à la démarche de Méhémet, et c’est une des nombreuses inexactitudes insérées par lord Palmerston dans son memorandum et portées à notre tribune par ses bénévoles apologistes, que le reproche ou l’hommage adressé au cabinet du 1er  mars pour avoir suggéré au pacha cette bonne pensée. Seulement, dans les premiers jours de juillet, la France a envoyé à Alexandrie le conseil de persister sérieusement dans les idées conciliatrices et de les mener à bien, justifiant ainsi sa déclaration tant répétée, qu’elle n’appuierait qu’un arrangement agréé librement par les deux parties. Ceux qui croient, ou plutôt ceux qui disent que ce fait si simple est l’origine du traité du 15 juillet, rabaissent les conceptions des quatre puissances aux proportions de leur esprit, et, dans leur désir immodéré de tout imputer au gouvernement de leur pays, prêtent une véritable niaiserie à lord Palmerston.

C’est la mode en effet chez quelques-uns de ne voir qu’un acte insignifiant dans une convention souscrite des mêmes noms qui signèrent la ruine de l’empereur Napoléon. Sans exagération, sans appel aux passions rétroactives, on doit qualifier autrement une transaction qui a changé en un moment l’attitude de toute l’Europe. Qu’est-ce que le traité ? Une alliance anglo-russe. Quels motifs ont déterminé l’Angleterre à cette alliance si long-temps invraisemblable ? Ceux même qui avaient dicté la politique de la France. En décrivant la position de la France sur les bords de la Méditerranée et dans le fond de l’Orient, nous avons précisément indiqué la pensée, la passion même qui a rapproché dans cette question la Grande-Bretagne de la Russie. La France risquait cette fois de trop gagner dans l’opinion du monde, et son influence menaçait de s’étendre trop vite et trop loin. C’était bien assez pour décider le ministre anglais. Quels motifs ont entraîné la Russie à son tour et l’ont fait consentir au sacrifice apparent de son privilége à Constantinople ? Ceux que dénonçait le ministère du 1er  mai, lorsqu’il accusait le cabinet de Saint-Pétersbourg