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sance. Elle aime les résolutions brusques et les partis énergiques. Il était possible de l’entraîner et de la compromettre dans quelque chose de décisif et d’imprévu. C’était une politique un peu grossière, mais sûre, et qu’on peut regretter, puisque nous ne devions ni réussir, ni persister dans celle qui lui fut préférée. Mais à Dieu ne plaise que nous reprochions au cabinet du 12 mai sa préférence. Sans examiner s’il avait la puissance de faire autrement, au cas qu’il l’eût voulu, approuvons-le d’avoir embrassé la politique exclusivement nationale, celle qui, en exposant à de plus grands risques, conduisait à un plus grand but.

Ce ministère paraît d’ailleurs avoir constamment agi sous l’empire d’une idée qui s’est laissée entrevoir dans l’exposé donné par M. Passy des négociations qu’il paraît avoir dirigées avec M. Dufaure. Cette idée est celle d’une mauvaise foi permanente de la part du cabinet anglais. Les preuves anecdotiques ne manquent pas, je le sais, à l’appui de ce soupçon ; mais elles ne suffisent pas, suivant nous, pour légitimer une défiance systématique contre l’Angleterre. Il ne faut appeler ni mauvaise foi ni perfidie l’existence d’une arrière-pensée que tout le monde devine, que tout le monde connaît, parce qu’elle s’explique par des intérêts manifestes. La France est-elle déloyale pour n’avoir pas dit pleinement combien elle s’intéressait à l’établissement égyptien ? La Grande-Bretagne sera-t-elle menteuse pour n’avoir pas étalé assez publiquement son désir passionné d’enlever la Syrie au maître énergique qui semblait seul capable de la dompter ? Les négociations entre états, comme les transactions entre particuliers, ne sont possibles qu’à la condition qu’il y ait de part et d’autre beaucoup de sous-entendus que chacun entend ; et dans le fait, l’Angleterre n’a trompé personne quand elle a tu, sans le cacher, qu’elle abandonnerait plutôt quelque chose de son antipathie contre la Russie que de son aversion contre l’Égypte. La France a dû s’en douter de fort bonne heure ; seulement elle avait droit de penser que les intérêts d’une ancienne alliance, que les bons procédés, la conformité des principes, l’empire de l’opinion, enfin une sorte de point d’honneur politique, retiendraient l’Angleterre plus près du terrain où nous nous étions placés, et préviendraient le scandale d’une rupture éclatante. Si le cabinet du 12 mai n’a point nourri cette espérance, s’il a été assez défiant pour se préserver de quelque illusion à cet égard, alors sa conduite a été plus hardie qu’il ne la fait aujourd’hui ; car il a marché les yeux ouverts sur les dangers d’un brusque isolement. Nous ne le lui reprocherions pas ; ce serait preuve