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QUESTION D’ORIENT ET DISCUSSION PARLEMENTAIRE.

des chances de guerre ; la persévérance, à ne pas reculer le jour où ces chances pourraient se rapprocher. Pour peu qu’on veuille relire les discussions de 1839, on jugera si la France a prévu. La discussion de ces derniers jours a montré si elle a persévéré[1].

La tribune a exposé et débattu, quinze jours durant, la conduite du gouvernement chargé pendant dix-huit mois des intérêts de notre politique orientale. Nous ne rouvrirons pas le débat. Qu’on ne croie pas cependant que tout ait été dit, que tout ait été révélé dans cette discussion où l’on a tant dit, où l’on a tant révélé. La diplomatie peut se plaindre, on a percé le secret dont son action journalière doit rester enveloppée, pour demeurer libre et efficace ; on l’a rendue fort difficile pour l’avenir, et le gouvernement semble avoir pris à tâche d’user ou de briser ses propres instrumens. Pour la politique pratique on a trop parlé, pas assez cependant pour l’histoire, et les pièces plus complètement montrées, plus impartialement choisies, jetteraient une lumière nouvelle sur le récit de cette affaire, à laquelle le public se croit initié.

Au début des évènemens, le cabinet du 12 mai pouvait encore se regarder comme maître de son choix. Au risque de se faire accuser d’étroitesse dans les vues et de timidité routinière, il lui était loisible de sacrifier en grande partie cette politique française dont nous avons esquissé les principaux traits, à un seul intérêt, celui de l’alliance anglaise. En faisant tout pour la conserver et la resserrer, succédant à un ministère justement accusé d’en avoir relâché tous les liens, il eût peut-être évité à la France ce que nous voyons aujourd’hui, et, sous ce rapport, il eût bien mérité d’elle. Quelques hommes d’état, en bien petit nombre, prudens jusqu’au scrupule, ou soupçonnant quelque faiblesse cachée au sein de notre gouvernement, auraient souhaité alors que, mettant de côté les vues personnelles, les calculs d’influence, les idées de progrès général, il s’unît dans une opération commune avec l’Angleterre, et ne tendît ainsi qu’à trois choses, raffermir l’alliance, paralyser ou humilier la Russie, se montrer agissant et résolu. Quel qu’eût été le mode et le but de cette action, eût-elle été finalement plus favorable à l’accroissement de l’influence anglaise que de la nôtre ; c’est beaucoup que d’agir, et les politiques à grandes vues auraient seuls trouvé à redire. L’Angleterre ne se conduit point par des idées générales et systématiques. Il lui suffit quelquefois de montrer un peu au hasard de la volonté et de la puis-

  1. Voyez tous les discours de 1839, même celui de M. Dupin.