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QUESTION D’ORIENT ET DISCUSSION PARLEMENTAIRE.

Mais il résulte évidemment de tout cela qu’en usant des mêmes paroles, la Russie, la Grande-Bretagne, la Prusse et l’Autriche sont loin d’avoir les mêmes idées, et que les deux premières surtout, se souciant fort peu dans l’avenir du maintien de l’empire ottoman, dès aujourd’hui ne s’inquiètent guère d’y voir naître des collisions et des crises, si elles peuvent y saisir l’occasion favorable de jeter les fondemens de leur puissance future, fallût-il y employer la force des armes.

L’indépendance et l’intégrité de l’empire ottoman sont chères également à la France. La France aussi se servait de ces mots en 1839. Qu’entendait-elle par là ? Le statu quo. La tolérance, ou la consécration du statu quo en Orient, tel était le véritable intérêt de la France, également jalouse de ne voir se renouveler ni les tentatives de protection léonine de la Russie, ni les essais d’extension morale de la puissance britannique. Cette politique résulte pour la France de sa position même sur la Méditerranée. La Méditerranée n’est point un lac français ; c’est là une dénomination ambitieuse qui peut inquiéter sans rien éclaircir. Mais enfin la France occupe un littoral bordé de grands ports au nord de cette mer. En face, elle règne péniblement, mais elle règne de fait sur plus de deux cents lieues de côtes. Elle n’y projette en d’autres parages, elle n’y rêve aucun agrandissement ultérieur, aucune conquête insulaire ou continentale ; mais partout elle y peut prétendre à l’influence, partout elle voudrait voir s’établir ou se développer avec indépendance des existences nationales, des marines respectables. Si l’Espagne s’éclaire un jour sur ses véritables intérêts, elle s’appuiera uniquement sur la France, qui ne lui souhaite que de la puissance, et qui a besoin qu’elle en acquière. Si la Grèce arrive jamais à la vie et à la force, elle se souviendra que la France seule a voulu pour elle une nationalité véritable, et lui a conseillé de ne pas s’effacer sous l’empire étrangement combiné de la politique anglaise et de la politique russe. La France encore devrait tout au moins exercer à Constantinople l’influence désintéressée d’une puissance du premier ordre qui ne convoite aucune des dépouilles de l’empire. En Syrie, depuis un temps immémorial, le nom français était puissant, et, parmi les populations chrétiennes, les croisades n’avaient laissé que notre souvenir. Parlerai-je enfin de l’Égypte ? Qui ne sait, ou du moins qui ne savait, il y a deux mois, quels intérêts, quels antécédens, quels liens de politique, de civilisation et de commerce, unissaient notre pays à la terre orientale, où le héros de notre époque alla chercher cette auréole de poésie qui devait couronner les origines de sa gloire ?