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l’Académie française vit avec gloire depuis deux siècles, et durera autant que l’unité de la France et la littérature nationale.

Si, au lieu d’être une sorte d’Olympe, l’Académie française n’était qu’un atelier grammatical, ce ne seraient pas des poètes lyriques et dramatiques, des orateurs, des historiens, des romanciers qu’il faudrait y appeler, ce seraient des grammairiens, des écrivains didactiques et des érudits de profession. Comment, je vous prie, faire travailler à une œuvre commune MM. Soumet, Lebrun, Casimir Delavigne, Lamartine, Châteaubriand, Victor Hugo ?… Pardon, je mêle par habitude des noms qui sont partout ailleurs voisins et frères… Comment, dis-je, imposer un travail collectif à ce qu’il y a de plus individuel au monde, à la pensée et à la fantaisie des poètes ? Autant vaudrait demander un tableau collectif à la section de peinture ou un oratorio à frais communs à la section de musique de l’Académie des beaux-arts ! Non, l’Académie des beaux-arts et l’Académie française ne sont pas des salles de travail ; ces deux Académies sont le but et la noble récompense des grands artistes. Tout au plus peut-on dire que ces deux compagnies ont pour mission secondaire de conserver le dépôt des traditions et de maintenir le respect des saines doctrines, soit par l’organe de leur secrétaire-perpétuel, soit par les nominations qu’elles ont droit de faire, nominations qui ont, en effet, une haute portée et une utile signification. Je le répète, deux Académies sont un Élysée ouvert aux poètes et aux artistes, ou, si on l’aime mieux, ce sont deux sénats conservateurs.

Mais est-ce à dire que ces deux corps doivent, par amour de la conservation, se vouer à une invincible immobilité ? Est-ce à dire qu’au lieu de montrer la route comme guides, ils doivent se poser comme obstacle ? Eh ! bon Dieu ! que deviendrait l’Académie française, si elle se trouvait un jour tellement en dehors du mouvement des esprits, qu’elle ne comptât dans ses rangs presque aucun des hommes dont la littérature contemporaine s’honore le plus ? Je ne dis pas que cela soit, tant s’en faut ; mais je dis qu’il importe que cela ne puisse jamais être.

Sous la restauration, un écrivain de beaucoup d’esprit, mais d’un esprit assez peu académique, s’était amusé à dresser une liste de tous les grands noms littéraires qui se trouvaient à cette époque en dehors de l’Académie française. Il avait, de plus, avec une malice qui n’était peut-être pas fort équitable, mais qui était de très bonne guerre, placé les noms les plus éclatans de sa contre-académie en regard de quelques noms adroitement choisis dans l’Académie officielle. Il serait