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DE LA DESTINÉE DES VILLES.

tinées au même degré, et qu’elles sont plus ou moins durables, selon qu’elles sont plus ou moins naturelles. Quelques mots expliqueront ce que je veux dire. La force et la puissance de ces villes leur viennent du lieu qu’elles occupent ; mais tantôt le lieu ne donne pas à la ville tous les avantages qu’il possède, tantôt la ville ne trouve pas aussitôt dans ce lieu de prédilection la place qui lui convient le mieux, tantôt encore, et selon le temps, cette place devient plus ou moins heureuse ; parfois, enfin, la ville perd sa fortune, parce que le lieu lui-même perd la sienne, à cause des changemens qui se font dans la navigation et dans le commerce. Constantinople, Alexandrie, Venise et Corinthe peuvent servir d’exemples à ces réflexions. Essayons, en comparant la destinée de ces quatre villes, d’arriver à nous faire une idée exacte de ce que nous devons appeler une ville naturelle et nécessaire.

Ce n’est pas que je veuille dire que l’homme n’est pour rien dans la destinée de ces villes ; l’homme y est pour beaucoup, car il faut qu’il reconnaisse et trouve la place de la ville. Tous n’ont pas le coup-d’œil juste, tous ne comprennent pas les avertissemens que donne la nature. Il y a des aveugles, témoin les Chalcédoniens, qui avaient devant eux le port de Byzance, la fameuse Corne d’Or, et qui ne comprirent pas que c’était là le lieu prédestiné d’une grande ville.

Je lisais dernièrement dans la Gazette d’Augsbourg (3 février 1840) l’extrait d’un rapport sur un projet de canal dans l’isthme de Panama. Il y a au milieu de cet isthme, dans l’état de Nicaragua, un lac de cent vingt milles de long sur quarante à soixante milles de large. Le fleuve Saint-Jean sert d’écoulement à ce lac dans le golfe du Mexique, avec un bon port à son embouchure. Du lac Nicaragua à l’océan Pacifique, il n’y a que neuf milles anglais ; mais c’est une montagne à percer. Supposez le canal ouvert à travers l’isthme : entre l’océan Atlantique et l’océan Pacifique, il y aura nécessairement à l’embouchure du fleuve Saint-Jean ou sur le lac Nicaragua une ville qui servira d’entrepôt entre les deux mers. Ce sera une ville nécessaire ; mais sa prospérité dépendra de la place qu’elle occupera sur le lac ou sur le fleuve, car il y a certainement sur le lac et sur le fleuve des places qui sont plus ou moins heureuses et plus ou moins fortes. Celui qui trouvera la bonne place aura la gloire d’avoir fondé la capitale du nouveau monde. C’est là qu’est la place, mais il faut que l’homme la trouve.

Le génie de l’homme avait bien senti aussi qu’il devait y avoir une