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ŒUVRES COMPLÈTES DE PLATON.

une faute, car il faut voir tout cela à sa place. Je citerai encore malgré tout, et quoique tout le monde les sache par cœur, deux épigrammes parmi celles que l’on attribue à Platon. En voici une qu’un de nos poètes a traduite. Je ne sais si on ne préférera pas l’humble prose et la traduction littérale :

Celle qui s’est ri si dédaigneusement de toute la Grèce, celle
Qui avait à sa porte un essaim de jeunes amans,
Laïs consacre son miroir à Vénus. — Car me voir telle que je suis,
Je ne le veux pas, et me voir telle que j’étais, je ne le puis.

Et cette autre sur Aristophane :

Les Graces, cherchant un temple qui ne pût être détruit,
Trouvèrent l’esprit d’Aristophane.

Il faut tout dire : il y a quelques passages de Platon, de rares passages, où il n’est guère moins subtil que ceux qu’il combat et où l’on est comme tenté de crier au sophiste. Il met cette phrase dans la bouche d’un des interlocuteurs du Ménon : « Socrate, tu fais comme la torpille ; tu m’engourdis. Combien de fois ai-je discuté longuement sur la vertu ! Mais aujourd’hui tu me remplis de trouble. ». Et cela est vrai. Ces passages où la subtilité et le sophisme se substituent au bon sens ordinaire de Socrate, tiennent un peu à la nature de l’esprit des Grecs, qui aimaient la difficulté. Aimer la difficulté, c’est le propre de tout grand esprit, mais la difficulté qui est dans les choses et non pas celle qu’on y met. Aussi Platon ne fait-il que se jouer avec ces subtilités, et les ailes de son ame le portent partout où la science a quelque chose à approfondir. M. Cousin a toujours surmonté avec bonheur ces obstacles de toute sorte. Si nous disions qu’il s’est placé comme écrivain au niveau de son modèle, lui qui connaît si bien Platon et qui l’aime et qui l’admire tant, il repousserait un pareil éloge. Mais pas un homme de goût ne pourra nous désavouer quand nous dirons que ces treize volumes de la traduction de Platon sont un des livres qui honorent le plus la langue française.

M. Cousin a placé un argument en tête de chaque dialogue, et, pour cette partie de son travail, je ne crois pas qu’il ait eu de modèle. Il est vrai qu’on a senti de bonne heure la nécessité de guider le lecteur à travers les détours un peu capricieux de la méthode de Platon ; mais les sommaires de Marsile Ficin, qui ne sont guère que des résumés, où la discussion, sèchement reproduite, est dépouillée de