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n’y pas être étrangères, et pourtant qui oserait sans rougir comparer Alcibiade et Giton ? Je sais bien que le Banquet de Platon, et le Lysis, et le Phèdre, sont autant de preuves qu’on aurait le droit d’alléguer, tout, jusqu’à la loi terrible qui défendait aux adultes l’entrée de la partie secrète des gymnases. Et pourtant, malgré tout cela, avouant le fait, je crois encore qu’on l’exagère. Pour Platon et pour Socrate, je repousse le reproche de toute l’énergie d’une conviction inébranlable. Celui qui a écrit la République et les Lois, et le maître qui l’a si souvent inspiré, ne sauraient, ni l’un ni l’autre, être souillés de ces infamies. Je défie les mœurs les plus corrompues d’entamer de pareilles ames.

L’amour platonique est un sentiment que la réminiscence fait naître, et qui provoque à son tour la réminiscence. Les ames qui ont vécu dans le commerce des dieux immortels, et qui se sont nourries de vérité et de beauté sans mélange, retrouvent en elles-mêmes la trace presque effacée de ces heureux jours, et se sentent pressées du désir de revoir cette ineffable beauté, de la contempler de nouveau face à face, et de jouir encore de ce bonheur, le seul qu’un esprit élevé puisse connaître. C’est alors que cette ame exilée, enfermée dans un corps, enchaînée à la terre, et obligée, par ce corps qu’elle traîne à sa suite, de vivre pour un temps au milieu de cette fange, s’en va cherchant partout ce qui pourra lui rappeler ce qu’elle a perdu, une belle ame dans un beau corps ; et quand elle l’a trouvée, elle s’attache à elle pour mettre en commun les trésors de leurs souvenirs, pour s’aider de cette faible beauté, et retrouver ainsi plus aisément l’idéal après lequel elle soupire. Elle veut obtenir amour pour amour, et, comme dit Socrate dans le Premier Alcibiade, faire naître un amour ailé dans le sein de son bel ami. L’objet d’un pareil commerce ne saurait être l’amour des sens, amour grossier, pour lequel Platon n’a que de l’indignation et du mépris ; c’est, au contraire, tout ce qu’il y a de plus capable d’élever et d’agrandir une ame ; c’est la philosophie, c’est l’éternelle beauté, c’est la sagesse dans son essence. C’est là ce que Platon appelle une ame philosophique, une ame amoureuse : quand le cœur est ouvert à ce noble sentiment de l’amitié, et que l’esprit n’aime que ce qui est beau, et ne voit dans la beauté périssable qu’une image de la beauté éternelle ; quand il ne demande qu’à diriger son bien-aimé vers cet objet de toute affection véritable, et à s’envoler ensemble loin des sensations et de leur tumulte, dans le monde de l’esprit, de l’être et de la vérité. Aujourd’hui que nous avons dans notre langue le Lysis, le Phèdre,