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conviction si sincère et si noble, que le résultat de cette étude n’est pas seulement d’agrandir l’intelligence, mais de pacifier l’ame et de lui apprendre à aimer, comme Platon, tout ce qui est beau, simple et vrai. Aristote, tout grand qu’il est, n’est accessible qu’aux savans et n’intéresse qu’eux ; Platon est ouvert à tout le monde, non pas que tout le monde le comprenne ; mais il n’est personne qui ne sente qu’il faut l’aimer et le suivre, et cela suffit. C’est à la vérité l’œuvre d’un érudit et d’un philosophe que de traduire Aristote ; mais traduire Platon, c’est rendre service à la fois à la philosophie, aux lettres et à la morale.

Il serait difficile de faire le catalogue des commentaires dont Platon a été l’objet. Depuis Crantor, qui florissait trois siècles avant av. J.-C., la série des commentateurs ne présente guère de lacunes, et elle dure encore. Les traductions sont plus rares, sans doute parce qu’elles sont plus difficiles[1]. En France, par exemple, on a commencé de bonne heure à traduire Platon, et cependant non-seulement la traduction de M. Cousin est la première traduction complète que nous ayons, mais plus de vingt dialogues paraissent en français pour la première fois, et parmi eux quelques-uns des plus importans. Le plus souvent on se bornait à publier deux ou trois dialogues. Un des plus anciens traducteurs, Étienne Dolet, natif d’Orléans, a publié en 1544 « deux dialogues de Platon, philosophe divin et supernaturel ; savoir : l’ung intitulé Axiochus, qui est des misères de la vie humaine et de l’immortalité de l’âme, et par conséquent du mépris de la mort ; item ung aultre intitulé Hipparchus, qui est de la convoitise de l’homme touchant la lucrative. » À peu près vers le même temps, en 1579, Blaise de Vigenère publia trois dialogues sur l’amitié : le Lysis de Platon, le Lœlius de Cicéron, et le Toxaris de Lucian. L’auteur compare ces trois dialogues aux trois ordres d’architecture, et le Lysis lui semble analogue à l’ordre dorique ; il se félicite, en faisant cette comparaison, de ne pas sortir du ternaire, « si propre et convenant à la divine essence, source et fontaine inépuisable de la vraie charité

  1. La Bibliothèque du Vatican possède une traduction de la République en hébreu ; on prétend aussi qu’une traduction complète a été faite en langue persane, par les ordres du roi Chosroès. Nous avons les trois traductions latines de Marsile Ficin, Cornarius et Jean de Serres, auxquelles il faut ajouter maintenant celle de Ast ; en italien, les œuvres complètes, par Dardi Bembo, à Venise 1601, et les dialogues seulement, en 1554, par Sébastiani Erici ; en anglais, la traduction des dialogues, publiée à Londres en 1701 et 1749 ; en allemand, l’ouvrage de Schleiermacher, que la mort du grand écrivain a laissé inachevé.