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SCHILLER.

forêt si souvent chantée par les poètes d’Allemagne. Ce fut là que Schiller alla chercher un refuge pour mûrir ses pensées, pour achever les œuvres qu’il avait entreprises. Un jour qu’il faisait sa promenade solitaire le long de la rivière, il entendit quelques mots prononcés près de lui à voix basse, et il aperçut un jeune homme à demi déshabillé qui allait se jeter dans l’eau et priait Dieu de lui pardonner. Schiller s’approche, l’interroge avec bonté, et le jeune homme, qui était un étudiant, lui avoue que la misère le pousse au suicide. À l’instant même, le poète lui donne tout ce qu’il avait alors d’argent sur lui, le console, l’encourage, et promet de venir bientôt à son secours. Quelques jours après, il se trouvait au milieu d’une nombreuse société ; il raconte avec émotion et chaleur la scène dont il avait été témoin, puis prend une assiette sur la table, fait le tour du salon, adressant à chacun sa pieuse requête, et le soir le malheureux étudiant recevait une somme assez considérable pour être long-temps à l’abri du besoin. Le succès de cette bonne œuvre inspira à Schiller une de ses plus belles odes, une ode qui jouit en Allemagne d’une grande popularité, et dont on chante souvent le refrain dans les fêtes et les grandes réunions ; c’est celle qui a pour titre : La Joie (Die Freude).

Tout en suivant le cours de ses inspirations poétiques, Schiller consacrait encore une grande partie de son temps à l’étude de la philosophie, à celle de Kant surtout, qui le séduisait par son côté spiritualiste, et il prenait un goût sérieux pour l’histoire, cette source profonde de philosophie et de poésie. Il entreprit avec quelques-uns de ses amis la publication d’un vaste ouvrage, l’Histoire des principales révolutions et conjurations du moyen-âge et des temps modernes. Lui-même traduisit pour ce recueil la conjuration du marquis de Bedmar contre la république de Venise ; puis les recherches qu’il avait faites pour Don Carlos l’amenèrent à écrire l’Histoire des révolutions des Pays-Bas. Plus tard, par cette association de la poésie et de l’histoire, un autre drame lui fit écrire le récit de la guerre de trente ans.

Pendant qu’il était livré à ses travaux, un de ses amis, le conseiller Koerner, le père du chevaleresque poète Théodore Koerner, l’emmena à Dresde. Heureux s’il n’eût trouvé là que les séductions de l’amitié ! Mais il y trouva celles de l’amour, d’un faux et mauvais amour, indigne de lui. Il rencontra par hasard une jeune fille d’une beauté charmante, mais coquette et rusée, gouvernée d’ailleurs par une mère intrigante, qui faisait acheter cher aux galans le plaisir de