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LE VOYAGE D’UN HOMME HEUREUX.

pas de réponse. Voilà donc comment elle est payée de tant d’adoration et du grand nom qu’elle a fait à ce grand artiste, et de la fortune qu’elle lui a donnée ! Passez en revue toute l’histoire, relisez la biographie des poètes couronnés au Capitole, des généraux vainqueurs dans les champs de bataille ; bien plus, faites-vous redire l’histoire des plus belles courtisanes de la Grèce et de l’Italie, quand la beauté était toute une croyance, et vous verrez que pas un de ces privilégiés de la poésie, de la bataille ou de l’amour, n’a été payé et adoré comme l’a été en France Rossini.

Nous faisons donc en sorte, nous qui l’avons vu dans sa gloire, de ne pas rencontrer le maître dans Bologne et dans son humiliation volontaire. On nous eût dit : venez par là, sous les arcades, vous allez le voir, que nous eussions passé de l’autre côté. Heureusement que cette ville du pape possède encore, pour accueillir dignement les étrangers, un hôte affable et bienveillant, dont la gloire va grandissant toujours, un habitant illustre, qui est venu se fixer dans cette ville pour lui donner un peu de mouvement et de vie ; un être fêté en France autant que l’a été Rossini, et qui doit se souvenir de la France avec orgueil, car il a été logé en plein Louvre : un musicien enfin, un moins grand musicien que Rossini, il est vrai, mais dont l’inspiration ne s’est jamais arrêtée, dont l’enthousiasme sortira vainqueur de tous les nuages, divin génie à qui rien ne résiste, qui marche environné d’harmonieux concerts, qui subjugue toutes choses, qui renverse tous les obstacles, d’une beauté éternelle ; cet hôte bienveillant, ce pouvoir souverain dans Bologne, ce génie que nul n’a jamais vainement invoqué, vous l’avez déjà nommé sans doute, c’est la sainte Cécile de Raphaël.

Comme aussi nous saluons les trois Carrache, nous respirons à la hâte cette odeur de poésie, de théologie et de médecine, nous parcourons ce cimetière tout neuf, tout disposé, et qui n’attend plus que des morts ; nous grimpons dans certains greniers de la ville tout remplis de tableaux à vendre et que personne n’achète, tristes débris des galeries qui ne sont plus. Et quand nous avons pris congé encore une fois de la sainte Cécile, nous quittons Bologne, nous traversons le duché de Modène, où la révolution de juillet n’est pas reconnue ; c’est bien le cas de s’écrier que l’exception prouve la règle. Nous passons la nuit à Parme, dans une auberge qui place un marbre noir sur sa porte, à chaque tête couronnée ou découronnée qui l’habite, même une heure. Pour le nombre des rois détrônés, en comptant la souveraine de Parme, l’hôtellerie des sept rois détrônés, à Venise,