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LE VOYAGE D’UN HOMME HEUREUX.

maison autrefois habitée par M. Thiers, toute la ville s’est portée : les plus grands seigneurs, les plus belles dames, et les plus jeunes. Du haut de ces jardins suspendus sur la ville, l’œil enchanté parcourt Florence tout entière, ses jardins, ses dômes, ses campagnes, sa verdure éternelle, son beau ciel, ses sombres monumens, tout ce qui est resté sa poésie, tout ce qui a été son histoire. — De ces hauteurs, vous descendiez dans les beaux jardins de San-Donato du comte Demidoff. Depuis deux ans, les jeunes arbres sont devenus de vieux arbres, le palais s’est achevé et complété ; déjà les vastes salles étaient toutes disposées pour la fête, déjà le statuaire et le peintre avaient accompli une grande partie de leur tâche ; la maison se remplissait, comme par enchantement, des plus vieux meubles de la république florentine, ramassés çà et là dans les splendides débris du passé. La royale fiancée elle-même faisait déjà les honneurs de ces salons, de ce palais, de ces jardins, de cette table opulente où venaient s’asseoir les plus grands noms de l’Europe. Dans les bosquets, la musique militaire jouait toutes sortes de mélodies italiennes, sans oublier l’air de Guillaume Tell : ô Mathilde ! Ah ! certes, voilà comment il fait bon être un jeune amoureux ! Voilà à quoi vous servent les palais, les marbres, les toiles peintes, les meubles somptueux, les eaux jaillissantes, les diamans, les perles, les chefs-d’œuvre de tout genre ! et surtout voilà à quoi vous sert l’amour et la jeunesse ! Ah ! certes, dans un pareil bonheur on peut laisser toute l’Europe se diviser pour la question d’Orient. Et que vous importent toutes les questions de l’Europe, quand vous emportez de toute la vitesse de vos chevaux anglais, au milieu de la bénédiction des pauvres, des vers du poète, des vivat de toute l’Italie, à la barbe de tous les princes à marier sur cette terre, la plus belle, la plus jeune, la plus charmante, la plus noble jeune fille de l’univers ?

Bien à regret, après quatre ou cinq jours de tous ces enchantemens, je quittai Florence ; je la laissai au milieu de ses joies et de ses fêtes. La ville se préparait, pour le lendemain, à une course de chevaux, qui fut brillante et dans laquelle se distingua le beau cheval de M. de Lowemberg. — La sortie de Florence est austère et triste ; vous jetez à chaque instant un dernier regard de regret sur cette ville encore endormie : adieu, lui dites-vous tout bas, adieu à ces amis de la patrie italienne toujours prêts à vous recevoir ; adieu à ces jeunes femmes qui sont restées ou qui sont devenues des Florentines ; adieu à ces grands noms si bien portés ; adieu à ces musées de chaque maison qui vous sont ouverts la nuit et le jour ; surtout