Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/799

Cette page a été validée par deux contributeurs.
795
LE VOYAGE D’UN HOMME HEUREUX.

révolutions à venir. Vive la Florence de Dante, vive la Florence de l’Arioste, vive la Florence de Michel-Ange, et vive la Florence de Raphaël ! Seulement, effacez la Florence des Gibelins et des Guelfes ; elle ne veut plus vivre que pour les beaux arts, pour la sainte poésie, la grande sculpture, pour les toiles chargées de couleurs et de génie ; puisque Savonarole est dans le bûcher, qu’il y reste ; nous autres, le soir venu, à la douce clarté de la lampe, nous relirons, s’il vous plaît, les histoires amoureuses du Décaméron.

Quand j’arrivai à Florence, la ville entière était occupée d’une heureuse nouvelle. Deux enfans de son adoption, la princesse Mathilde Bonaparte de Montfort et le comte Demidoff venaient d’être fiancés le matin même ; la joie était universelle. Cette Florence, qui a de la sympathie pour toutes les grandeurs, ce riant exil des rois sans trône et sans patrie, s’était éprise d’amour pour la jeune et belle fille de l’ancien roi de Westphalie. Elle l’avait reçue tout enfant dans ses bras ; et lorsque l’enfant eut perdu sa noble mère, Florence l’avait adoptée comme sienne. Ainsi, la princesse Mathilde avait grandi dans tous les enchantemens, ou du moins dans toutes les consolations de l’Italie. Et maintenant, à dix-huit ans tout au plus qu’elle peut avoir, Mathilde de Montfort n’est pas seulement la plus belle princesse du monde, ce ne serait pas assez dire, elle est tout simplement la plus belle personne de l’Europe. Elle a le front, elle a le regard, elle a la démarche d’un Bonaparte ; elle a les pieds, les mains, la taille, la grace parfaite, le teint charmant d’une Parisienne. Même quand elle n’est qu’une jeune fille ravissante et s’abandonnant au bonheur de l’heure présente, regardez-la, et vous trouverez quelque chose de l’aigle qui perce tout au travers de cette dix-huitième année innocente et naïve. Ajoutez qu’elle est la plus noble dame du monde. Par son oncle Napoléon Bonaparte (et comme il l’eût aimée, le vieux soldat ! comme il eût abrité sa tête grisonnante à l’ombre de tous ces printemps chargés de roses !), la princesse Mathilde marche légèrement à la tête de la noblesse moderne ; pas une origine nouvelle qui ne se rattache à son origine, pas un bâton de maréchal qui ne porte ses armoiries, pas un gentilhomme de l’épée qui n’ait été un des soldats de sa famille ; en même temps elle appartient par sa mère à ce que la vieille noblesse a de plus antique et de plus auguste. Figurez-vous cette noble personne, ainsi chargée de cette double auréole, entrant tout d’un coup à Paris par l’arc de triomphe de l’Étoile ! Elle cependant, elle n’a jamais songé à de si grandes destinées. Elle a été tout simplement une jeune fille ; elle en a eu la modestie, la grace