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LE VOYAGE D’UN HOMME HEUREUX.

là. Cette tour qui nous menace jusqu’à la fin des siècles d’une chute éternelle, cette église qui se sent de Byzance et qui précède la renaissance, comme Dante précède Michel-Ange ; ce vaste cimetière qui a dévoré ses morts, laissant intacts leurs noms et leur gloire, tout ce passé qui repose là et qui se tient debout par la seule force des souvenirs, savez-vous rien de plus poétique ? Mais, hélas ! cette ville de Pise s’est enrichie, peut-on dire enrichie ? d’un autre monument funèbre. Voyez-vous sur l’Arno, encore tout chargé des débris de l’orage de la veille, ce vieux palais qui s’avance gravement ? Les portes en sont fermées, les fenêtres fermées ; tout est mystère et silence autour de ces murailles ; la petite église de la Sainte-Épine, ce mignon chef-d’œuvre du grand Nicolas de Pise, semble regarder le sombre palais avec un profond désespoir. Qui que vous soyez, voyageur, quelle que soit la couleur de votre drapeau, découvrez-vous devant ce palais, car c’est là qu’elle est venue mourir, loin de sa patrie, loin de sa famille, cette jeune, belle et adorée princesse Marie d’Orléans, ce grand artiste. Sur ces bords, dans ces murs, entre ces vieux monumens dont elle creusait tous les secrets, dans le silence de cette ville qui ne vit plus que par les souvenirs, elle est venue s’éteindre, jour par jour, heure par heure, cette noble personne que la France avait adoptée d’un amour unanime, cet illustre défenseur de la Jeanne d’Arc, insultée par Voltaire. Malheureuse jeune femme ! Elle était toute la poésie du château des Tuileries ; elle était la popularité incontestable, incontestée de cette famille royale ; elle était l’honneur de ce musée de Versailles, ouvert à tant d’œuvres médiocres, elle était l’espérance et l’amie de ses confrères les artistes et les poètes, qui ne la remplaceront jamais… La ville de Pise, qui ne pleure plus guère, elle a tant pleuré ! a pleuré cependant cette illustre étrangère ; elle l’a adoptée comme un de ses martyrs. Maintenant, quand vous passerez par ces rivages, les artistes italiens, ces ingénieux copistes de tous les chefs-d’œuvre, vous offriront la copie du Baptistère, ou bien la copie du Dôme, de la Tour penchée, du Campo Santo, ou enfin la main de la princesse Marie, cette main pâlie, effilée, mourante, si remplie d’aumônes et de chefs-d’œuvre qu’elle commençait à répandre… De tous ces souvenirs de gloire et de destruction, est-il besoin de vous dire le souvenir que j’ai choisi ?

Entendez-vous, voyez-vous là-bas quelque chose qui chante et qui brille, c’est Florence ! Enfin donc, je la revois, je la tiens, je l’entends, je la reconnais à son élégant murmure, à sa bonne grace naturelle, à son hospitalité souriante, c’est bien elle, c’est Flo-