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nir vénéré un tableau d’Annibal Carrache et un tableau de Francia, comme aussi le nom de la reine d’Étrurie se rattache à plusieurs des tableaux de cette galerie commencée par elle. Triste destinée des monarchies modernes ! les trônes des rois durent encore moins que les galeries qu’ils ont commencées. Mais la galerie et le trône, tout s’en va à la fin, hélas !

Nous avons conservé, pour le nommer le dernier, le plus rare et le plus excellent tableau de cette galerie, si nous mettons à part la Vierge aux candélabres ; ce tableau admirable, c’est le Christ de François Francia. Voilà un homme, voilà un artiste des plus belles époques de l’art. Esprit, génie, fidélité à ses maîtres, constance, courage, honneurs et fortune, gloire et renommée, rien ne manque à celui-là. Il était né à Bologne, au milieu de la philosophie et de la théologie amoncelées à cette place savante, et tout d’abord il avait été un grand orfèvre dans le temps des grands orfèvres, puis un célèbre graveur en médailles, puis il avait traité l’émail comme un maître. C’est pourtant le même homme dont quelques tableaux, et entre autres le Christ de Lucques, se peuvent comparer aux plus beaux ouvrages de Raphaël en personne. Quand Francesco eut achevé ce tableau qui est à Lucques, cette sainte Anne, cette Vierge, ce Christ mort, toute l’Italie du XVIe siècle battit des mains et poussa des cris de triomphe. En ce temps-là Raphaël était à Rome, à recevoir les hommages universels, comme s’il se fût appelé Léon X. À ce sujet, le Sanzio écrivit une lettre de louanges à Francia, cet autre Raphaël qui donnait à Bologne le mouvement et la vie ; et même quand lui, Raphaël, il eut achevé la sainte Cécile qui est à Bologne, il chargea Francia de placer ce chef-d’œuvre dans un jour convenable : — En même temps, si vous trouvez quelque chose à réparer, faites-le, maître, disait Raphaël. À peine eut-il ouvert la caisse qui contenait la sainte Cécile, Francia tomba à genoux en versant d’abondantes larmes ; le tableau fut placé par ses mains tremblantes non loin du tombeau de la sainte Elena dell’Olio ; huit jours après (sa mort est digne de sa vie), Francia était mort, écrasé par la contemplation de la sainte Cécile de Raphaël !

Telle est cette galerie du prince de Lucques. Elle peut ajouter de grandes richesses à celles que possède le musée du Louvre. Sans nous réjouir du deuil de l’Italie, nous avons le droit d’en profiter. Nous avons en cette affaire des nations rivales qui sont plus riches que nous peut-être, mais qui aiment les chefs-d’œuvre moins que nous. Il faut donc que nous nous rappelions cette fois tout ce que nous