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du pont, c’est l’hôtellerie du seigneur Pagnini, le maître de céans, on peut le dire. Sa maison est tout un village d’Anglais et d’Allemands, et tout à côté la vallée que vous voyez, c’est le palais des Jeux. Le jeu est en effet, après le seigneur Pagnini, le bienfaiteur des bains de Lucques. Le jeu a tracé ces beaux sentiers, il a jeté là ce beau pont, il a arrondi la vallée, il a doné de l’espace et de l’air à ce beau petit coin de terre ; enfin il s’est élevé à lui-même dans cette place difficile, ce vaste palais où l’on dirait qu’un roi va venir. Dans cette maison royale, rien ne manque. Vaste salon de lecture où l’on peut lire à journal ouvert, même les folies les plus violentes ; vaste salon de bal qui, le soir, n’est jamais sans un peu de musique, un peu de danse, un peu d’épaule nue, un peu d’esprit, un peu d’amour ; un jardin de vingt pieds vaste pour le lieu, et enfin une modeste petite roulette qui apporte un peu d’or sur cette heureuse terre où l’or est si rare. En un mot, il y a de tout à ces bains de Lucques, même des bains tout en marbre, même une eau sulfureuse qui guérit sans peine toutes les maladies que peut guérir l’art moderne. Et tout cela est si frais, si mignon, si charmant, si joli, si reposé, si calme ! Cependant je n’étais pas content encore, une chose manquait à ma joie ; je voulais voir ma maison, la maison du hasard, cette fameuse palazzina Lazzarini, qui m’a fait tant d’ennemis mortels ; ce grand problème que j’avais inventé, disait-on, pour me faire électeur, membre de la chambre des députés et pair de France. Ma maison, où est-elle ? Il faut bien que je la devine, il faut bien que je la trouve tout seul, car le moyen d’aller demander à cet homme qui passe : — Mon ami, où est ma maison, s’il vous plaît ? Cependant autour de moi les maisons ne manquaient pas ; mais fi donc ! est-ce que je puis me contenter de ces chaumières ? C’est un palais que m’a donné le hasard, il me faut un palais ; qu’on m’apporte mon palais ! Or, en ce lieu des profondes modesties, il n’y a que le jeu qui ait un palais ; le duc de Lucques lui-même, ce Bourbon d’Espagne, bourbon par le sang, Bourbon, par le goût et par l’élégance, n’a qu’une simple maison des champs aux bains de Lucques. Ah ! ma foi, je parie encore tout ce que vous voudrez, tenez, tout là-haut, à côté du jeu, et dominant la vallée, voici ma palazzina, je la reconnais à sa forêt de quatre acacias ! Ainsi posée sur la colline, dominée par les bains et dominant la vallée, l’aimable petite maison se donne de petits airs penchés qui sont à mourir de rire. Elle a été bâtie avec soin, et surtout avec une recherche plus qu’italienne, par un paresseux d’Italien qui est mort de fatigue après avoir accompli cette